La petite histoire de Madame Favart d’Offenbach
Un succès à son époque et à présent une œuvre oubliée d’Offenbach, comment justifier une telle destinée pour Madame Favart ?
Un succès au XIXe siècle
Avec Madame Favart, Offenbach (1819-1880) compose sa 99ème œuvre pour chœur et orchestre, soit l’une de ses dernières créations. Elle est représentée pour la première fois le 28 décembre 1878 aux Folies Dramatiques. Salle comble, le spectacle sera rejoué plus de 200 fois d’affilée… un succès !
Cette pièce permet à son auteur de renouer avec la réussite, après la faillite du Théâtre de la Gaîté, dont il a été le directeur jusqu’en 1875.
Offenbach a commencé sa carrière en tant que violoncelliste à l’Opéra-Comique, dont il assurait occasionnellement la direction musicale. De cette expérience, il a acquis l’habitude d’intégrer des airs populaires dans la plupart de ses compositions musicales. Madame Favart n’y fait pas exception, avec la reprise de refrains de garnison ou d’une marche de fanfare promise à un bel avenir : « Fanchon ». Cet air du genre comique troupier recevra ses titres de gloire après le décès d’Offenbach, lors de la victoire de la guerre de 1914-1918. Mais la pièce, elle, ne sera que peu rejouée.
Un couple réel et romanesque : Justine et Charles Favart
Un couple en fuite
L’intrigue met en scène un couple célèbre ayant vécu au XVIIIème siècle : Charles et Justine Favart. Charles est un directeur de théâtre et dramaturge. Il devient célèbre grâce à La Chercheuse d’esprit en 1741, et, suite à son triomphe, il est nommé à la direction de l’Opéra-Comique où il produira ses pièces. Il y rencontre Mlle de Chantilly qui deviendra sa femme en 1745. De 1746 à 1750, il est appelé à diriger une troupe ambulante de comédiens qui suit les armées du maréchal de Saxe afin de soutenir le moral des troupes. C’est à ce moment que les faits historiques évoquent un récit romanesque : Mme Favart devient la maîtresse du maréchal, puis finit par repousser ses assiduités. Le maréchal se venge alors sur le mari, qui doit fuir pour échapper à la menace de la Bastille. Elle-même est enfermée dans plusieurs couvents, avant de céder au maréchal. Elle est alors amenée au château de Chambord.
Une actrice révolutionnaire
à la mort du maréchal, les époux sont réunis, et c’est au tour de Mme Favart de briller. En effet, elle va jouer au Théâtre-Italien Bastien Bastienne en 1753. Elle apparaît sur scène costumée en bergère. C’est la première fois qu’une actrice enfile une tenue particulière pour jouer un rôle. Elle sera suivie dans sa démarche par La Clairon, dans le registre tragique. Cette révolution du costume a donné le théâtre et l’opéra tel qu’on les connaît à présent.
Une œuvre comique
Une intrigue de comédie
L’opérette, moins sérieuse que l’opéra, tient davantage de la comédie. Et en effet, à plusieurs égards, l’intrigue de Madame Favart évoque des pièces de vaudeville ou des comédies de Marivaux. En effet, dès l’acte I, le sujet principal semble être le mariage de Suzanne et Hector sans cesse dérangé par des barbons, que ce soit le père de Suzanne, le major, ou bien le marquis de Pontsablé. Pour obtenir ce mariage et triompher des difficultés, les protagonistes vont jouer de divers déguisements, multipliant les occasions de quiproquos.
Une satire sociale
Un autre ressort comique de la pièce est la satire des soldats, présentés comme des soulards à l’acte I. Le sergent Larose et le marquis de Pontsablé sont tous deux des figures de généraux peu reluisantes, trop enclins au libertinage. La satire touche même le maréchal de Saxe, vainqueur de Fontenoy. Bien qu’il ne soit pas présent dans la pièce, les quelques allusions qui le visent le dénigrent sans retenue : il devient pour le public un « gros » homme cloué au lit par la goutte, et perd ainsi tout panache militaire. Cette satire virulente contre l’armée s’explique par l’atmosphère de rédaction de la pièce, après la défaite contre les Prussiens en 1871.
Un éloge du rôle de comédien
Toute la pièce, qui porte le nom d’une célèbre actrice, peut être comprise comme une célébration du métier de comédienne : les différents rôles que prend le personnage (Toinon, la douairière, un tyrolien) met en valeur le travail d’acteur qui consiste à se faire passer pour un autre. Le personnage de madame Favart peut être rapproché de celui de Figaro, qui par son esprit inventif parvient à retourner la situation à son avantage, notamment dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais. Le spectateur, qui suit les différents rôles endossés par madame Favart, est mis dans la connivence et peut admirer son talent. D’ailleurs, elle éclipse largement les autres personnages, que ce soit par son temps sur scène ou par le nombre de ses interventions musicales.
Madame Favart, féministe ?
En 1878, les premiers mouvements féministes émergent à peine. Mais le personnage de Madame Favart pourrait très bien prétendre au rôle. Intelligente et débrouillarde, elle n’a besoin de personne pour se sortir d’embarras, et c’est heureux, car ce n’est certainement pas sur les hommes de la pièce qu’il faut compter.
Talentueuse actrice, ingénieuse planificatrice, capable de manipuler comme de faire confiance, elle nous offre une personnalité affirmée et juste qui contraste avec le ridicule de ceux qui lui donnent la réplique. D’elle seule proviennent les idées et les solutions à chaque nouvelle situation. Elle agit là où les autres subissent.
Avant-gardiste des mouvements féministes, elle tient tête aux hommes de pouvoir qui veulent la rabaisser, la cantonner au rôle d’objet de désir et la forcer à entretenir leurs fantasmes. Au lieu de s’y plier, elle utilise leurs penchants pour se donner l’avantage. Et si elle n’hésite pas à user de tous les atouts qu’elle possède, elle ne le fait jamais sans raison.
Ainsi, Madame Favart nous plonge en pleine France du XVIIIème siècle, dans la vie aux accents romanesques d’un couple de figures importantes des salons de l’époque. Et tout cela, pour nous faire admirer l’audace et la ruse des personnages, certes… mais avant tout pour nous amuser !
Sources :
- Opéra comique, “5 choses à savoir sur madame Favart d’Offenbach”. 5 choses à savoir sur Madame Favart d’Offenbach | Opéra Comique (opera-comique.com)
- David Charlton, “Marie-Justine Favart, née Duronceray: some new biographical details”, Eighteenth-Century Music 13/1, 95–103, Cambridge University Press, 2016, doi:10.1017/S1478570615000445
- Flora Mele, « Justine Favart autrice et interprète: rôle d’une artiste polyvalente en «société» », Études de lettres [En ligne], 317 | 2022, mis en ligne le 15 mai 2023, consulté le 15 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/edl/3784 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edl.3784
- Maurice Dumoulin, Favart et Madame Favart: un ménage d’artistes au XVIIIe siècle, Louis-Michaud, 1900.
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