Focus sur le Duetto du notaire

Après le grand Canon des faux mendiants, le Duetto du notaire de l’acte II fait partie des numéros les plus appréciés au moment de la création des Brigands. Les premières critiques parues après la première plébiscitent ce numéro réjouissant et il n’y a guère que Félix Clément et Pierre Larousse qui font la fine bouche et déplorent de n’entendre dans ce duo que « l’éternel rythme de polka » (Dictionnaire lyrique, ou Histoire des Opéras).

La structure de ce petit duo entre Fiorella et Fragoletto est relativement simple : un couplet, un refrain, chacun repris trois fois de manière identique. Harmoniquement, Offenbach s’en tient également à quelque chose d’assez rudimentaire et on cherchera en vain les franches modulations des premiers couplets de Fiorella, ou les chromatismes et les frottements harmoniques audacieux de ceux de Falsacappa. Mais, comme souvent chez Offenbach, l’apparente simplicité formelle masque mal un fourmillement de petits détails aussi subtils que ravissants.

Le début du couplet fait entendre un rythme assez caractéristique, formé de l’alternance entre deux brèves et une longue. Posé sur un bourdon des basses, ce rythme évoque donc la bourrée, danse issue du centre de la France, d’abord d’origine populaire – après tout, Fragoletto et Fiorella sont bien des gens du peuple – avant d’être progressivement développée et codifiée au XVIIe siècle jusqu’à intégrer les danses de cour et le grand ballet classique. Le refrain du duo évoque davantage la polka, danse dont la rythmique est assez proche de celle de la bourrée, mais qui possède un caractère plus sautillant et plus articulé.

Ce petit refrain n’est pas non plus sans évoquer le duo entre Eboli et Thibault, au premier acte de Don Carlos de Verdi, œuvre censément plus sérieuse, créée quelques années avant Les Brigands (en 1867 dans sa version française) et à laquelle Offenbach rend peut-être discrètement hommage ici. La parenté entre les deux duos est d’ailleurs accentuée par le fait que Thibault, comme Fragoletto, est un personnage travesti (rôle d’homme chanté par une femme).

Le travestissement de Fragoletto n’est d’ailleurs pas anodin dans ce duo et Offenbach, comme bien d’autres compositeurs, joue de cette ambiguïté des sexes, des genres et des rôles, et du côté délicieusement sulfureux qu’il génère. À ce titre, il est intéressant de noter que le compositeur, afin de brouiller encore davantage l’oreille, fait permuter à plusieurs reprises les lignes vocales de Fiorella et de Fragoletto et que le soprano 2 (Fragoletto) passe plusieurs fois furtivement au-dessus de la ligne du soprano 1 (Fiorella). Les voix se croisent et s’entrecroisent, alternent et se rejoignent à la tierce. Si Les Brigands ne comportent pas de vrai duo d’amour entre les deux personnages, c’est bien dans ce petit duetto que nos deux protagonistes deviennent musicalement un véritable couple !

Le texte du duetto casse la structure relativement répétitive de la musique et progresse subtilement à chacun des trois couplets. Les deux amants haranguent d’abord le notaire (couplet 1), puis tentent de l’attendrir (couplet 2) avant de le menacer à mots couverts (couplet 3). Mais le véritable coup de génie du livret réside dans le formidable jeu sur les onomatopées des 3 refrains. Ce procédé comique qu’on pouvait déjà entendre, notamment dans les couplets de Cupidon d’Orphée aux enfers, est ici poussé beaucoup plus loin et chaque refrain est l’occasion d’un nouveau « bruitage » : d’abord des « psitt, psitt », puis des bruits de baisers et enfin de très sonores « ha ha » qui ont rapidement valu à ce duetto le surnom de « Duo de l’éclat de rire ».

Pour en savoir plus sur la musique des Brigands.

 

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