Peut-on traduire l’opéra ?
Vous êtes plutôt VF ou un inconditionnel de la VO ? Ou bien, êtes-vous un partisan de la VOSTFR ?
À l’opéra comme au cinéma, la question se pose : VF ou VOSTFR ? Car on a envie de comprendre tout ce qui se passe sur scène. Mais la musique est reconnue avant tout comme un vecteur d’émotion. A-t-on vraiment besoin de comprendre la langue ? L’émotion ne parle-t-elle pas d’elle-même ? Amour, colère, joie, chagrin : nous n’avons pas besoin de mots pour comprendre ces émotions-là. Et pourtant…
Dès les années 1630, la question de la traduction des opéras se pose : une dispute oppose alors librettistes, musiciens et chanteurs pour savoir ce qui, du texte ou de la musique, doit primer. L’origine de l’opéra étant italienne, la question de la traduction s’est donc rapidement posée. Car lors des premières pièces jouées en France, on ne comprenait rien de ce qui se disait sur scène, mais on voulait comprendre. Cependant, privilégier l’histoire et les paroles, est-ce au détriment de la musique ? La Flûte enchantée de Mozart ( 1791) par exemple, traduite en français en 1801, est d’abord donnée sous le titre Les Mystères d’Isis. Il s’agit d’un pasticcio: l’histoire reste globalement la même, bien que les noms des personnages et les enjeux soient légèrement changés. Ainsi, la traduction transforme le rôle de Zarastro en en faisant un pontif du temple d’Isis. Ceci montre bien le pouvoir de transformation de la traduction.
Est-il possible de traduire l’opéra ? Ou la traduction est-elle toujours une trahison de l’œuvre originale ? Traduttore traditore, comme on dit : traduire, c’est trahir.
L’opéra, bien plus de 50% de musique.
L’opéra et ses dérivés, comme l’opérette, l’opéra bouffe, l’opéra-comique ou la comédie musicale, sont des mélanges entre musique et théâtre: on y raconte une histoire, et on le fait en musique.
Le livret d’opéra : un texte.
La partie narrative vient du livret d’opéra, qui met en scène des personnages et une intrigue. Les Noces de Figaro par exemple, opéra de Mozart, a un livret écrit par Da Ponte inspiré tout droit du théâtre. En effet, Da Ponte adapte les pièces de Beaumarchais Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro. À chaque rôle correspond une tessiture (soprano, alto, ténor, baryton, basse) et le texte est mis en musique sous forme d’aria, de récitatif ou de dialogue. Certains passages dialogués peuvent rester parlés, notamment dans les opéras bouffes, l’opérette et les opéras comiques. C’est ce texte, en musique ou non, qui doit être traduit.
Wikipédia : affiche originale de l’opéra de Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, 1786.
La partition : une musique.
Cependant, la musique est faite pour refléter le mot et sa signification. On entend souvent dire que l’italien est une langue chantante: l’opéra italien de Florence prône notamment le soutien des mots par celui des notes. Caccini, pour la création d’Eurydice, affirmait qu’il voulait « s’approcher au plus près du parler naturel ». On trouve cela en français également grâce à la musique baroque, qui est réputée suivre l’intonation de la langue. D’autres écoles, comme celle de Naples, privilégient la musique à l’intrigue, donnant de l’importance à la virtuosité des chanteurs. La musique semble alors l’élément principal d’un opéra.
Mais si, ce soir, demain, vous allez voir La Flûte enchantée, il est probable que le célèbre air de la Reine de Nuit soit donné en allemand. Entre la barrière de la langue et les suraiguës, me direz-vous vraiment que vous comprenez quelque chose ?
Les contraintes de traduction.
Mais à l’opéra, il faut non seulement restituer le sens, mais aussi se plier aux notes. Or, si la musique seconde les paroles dans sa langue originale, c’est parce que les notes et le rythme sont fondés sur les accents et les rythmes de la VO. Changer de langue, c’est rompre cette alchimie musicale. Beaucoup d’adaptations sont donc nécessaires pour traduire un morceau. “Don Giovanni”, par exemple, comporte quatre syllabes. Comment le traduire par « Don Juan » (trois syllabes) quand l’air du commandeur comporte quatre notes ?
Le commandeur interprété par Franz-Josef Selig lors de la représentation de Vienna State Opera en 1999.
De plus, la traduction doit prendre en compte l’émotion, mieux transmise par certaines voyelles et consonnes, mais doit conserver un texte chantable. Ainsi, l’anglais ne traduit pas les « si si si » de Leporello par « yes yes yes », dans le deuxième acte de Don Giovanni adapté par Auden. En effet, cela aurait été impossible à dire pour un chanteur anglais à cause du débit rapide. Ajoutez à ces difficultés les difficultés classiques de la traduction : référence culturelle, équivalence compliquées entre des mots, rimes …, et l’on pourrait presque dire que c’est une mission impossible.
Le surtitrage, la solution intermédiaire.
Comment comprendre alors ce qui se joue à l’opéra, si on ne peut pas traduire la musique ? À Toronto, le 21 janvier 1981, une solution est testée pour Elektra de Strauss, un opéra allemand. Durant le spectacle, des diapositives affichent le texte chanté, traduit en simultané sur les bords de la scène. C’est l’équivalent des sous-titres au cinéma, on appelle cela « sur-titrage ».
Le surtitrage, c’est quoi?
Cette technique à plusieurs contraintes. Tout d’abord, le surtitrage peut détourner le regard de la scène: il faut donc éviter que le texte ne soit trop long. Il est ainsi limité à deux lignes, avec un maximum de 45 caractères. Les répétitions ne sont donc pas traduites. Quelques libertés sont également prises par rapport au texte original, afin d’obtenir des phrases courtes. De plus, seuls les éléments importants pour comprendre l’intrigue sont gardés. Il ne s’agit donc pas d’une traduction exhaustive. Enfin, la langue employée est simplifiée pour que le texte soit lu le plus rapidement possible, toujours dans le but de ne pas détourner l’attention du spectateur de la scène.
Photo prise pour Le Soir, de l’Opéra Royal de Wallonie à Liège et de ses écrans de surtitrage.
Le difficile travail de surtitreur.
Ce travail revient à un traducteur spécialisé, appelé le surtitreur. Il doit connaître à la fois les langues et la musique, afin de fournir un texte cohérent également du point de la diction du chanteur : les morceaux de texte inscrits à l’écran représentent une unité musicale. On peut couper une phrase, mais pas une phrase musicale. De plus, il doit adapter son vocabulaire aux intentions de mise en scène. Ainsi, si l’action est modernisée, il ne parlera pas « d’épée » mais « d’arme », voire de « revolver ». Enfin, sa dernière mission est d’insérer suffisamment de diapositives noires afin que le texte soit synchronisé avec la mise en scène.
Alors ? VF ou VOSTFR ? La majorité des théâtres propose à présent du sur-titrage pour les œuvres en langue étrangère, mais est-ce que, pour autant, il faut arrêter de jouer les adaptations déjà existantes comme Les Mystères d’Isis ? Je vous laisse trancher.
Sources :
- Alix Adrien, Decroisette Françoise et Heuillon Joël , « La naissance de l’opéra. Traduire la pensée musicale en devenir », Traduire [En ligne], 239 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/traduire/1546 ; DOI : 10.4000/traduire.1546
- Degott Pierre, « Traduire l’opéra, ou la tentation du calque phonique », Palimpsestes [En ligne], 28 |2015, mis en ligne le 01 novembre 2015. URL : http://journals.openedition.org/palimpsestes/2144 ; DOI : https://doi.org/10.4000/palimpsestes.2144
- Dent Edward J., « The Translation of Operas », in Edward J. Dent: Selected Essays, Hugh Taylor (ed.)Cambridge, Cambridge University Press, 1979. (Article initialement paru dans 1934-1935, Proceedings of the Musical Association 61, p. 81-104)
- Jakus Miette, “Le problème de la traduction d’opéra illustré par la Flûte Enchantée”,in: Équivalences, 3e année-n°2, 1972. pp. 44-48.DOI : https://doi.org/10.3406/equiv.1972.928
- Kobbé Gustav, Tout l’opéra, de Monteverdi à nos jours, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1999.
- Syssau Emile, « Le surtitrage à l’opéra », Traduire [En ligne], 243 | 2020, mis en ligne le 15 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/traduire/2202 ; DOI https://doi.org/10.4000/traduire.2202
Rédaction de l'article
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