Pourquoi les ténors sont-ils toujours gentils ?
La scène est connue. Le prince charmant s’approche de la plus haute salle de la plus haute tour. Il est beau, il est jeune, et si c’est une comédie musicale ou un dessin animé pour enfant, il va sans doute pousser la chansonnette.
Et comme c’est un gentil, un jeune homme, un bel homme, il aura une voix… de ténor.
Car, il faut le savoir, dans la grande répartition des rôles par voix, le ténor est toujours le gentil.
Pensez au prince charmant dans Blanche Neige ! Trop lointain dans votre mémoire ? Pensez à Zac Efron dans High School Musical ! Pensez à Tony dans West Side Story. Pensez à n’importe quel gentil qui chante ! Ce sera forcément un ténor.
Tout d’abord, qu’est ce qu’un ténor ?
Étant serviables, nous vous épargnerons d’aller chercher la réponse sur un moteur de recherche bien connu.
Un ténor, c’est une voix d’homme, la plus aiguë dans les registres de voix d’hommes.
Ainsi, de haut en bas, vous aurez :
– le contre-ténor, dit le freluquet
– le ténor, dit le bellâtre
– le baryton, dit celui qui ne sait ni monter bien haut, ni descendre bien bas
– la basse, dit l’homme viril.
Tout est une histoire de hauteur de note donc, d’étendue vocale. Mais pas seulement.
Le ténor est celui qui saura chanter très aigu avec une voix dite mixte.
Vous pouvez chanter avec une voix de poitrine, il vous suffit de faire “Hoho Joyeux Noël” avec une voix de père Noël. Mettez votre main sur la poitrine, vous la sentez vibrer ? C’est normal, c’est la voix de poitrine. Maintenant prenez une voix très aiguë, type les petites souris de Cendrillon. C’est strident, votre poitrine ne vibre plus, le son vibre uniquement dans le visage. C’est la voix de tête.
Un contre-ténor utilisera sa voix de tête pour atteindre des notes très aiguës.
Un ténor utilisera une voix qui vibre dans la poitrine et dans la tête, pour atteindre des notes un petit peu moins aiguës, il est vrai.
Une convention bien pratique
Pourquoi le ténor serait-il toujours gentil ?
Vous l’aurez compris, cela ne tient pas tant à la personnalité du chanteur qu’aux caractéristiques premières du personnage qu’il incarne.
En effet, un opéra doit faire tenir des histoires parfois longues et compliquées, en très peu de temps- même s’il peut vous paraître long quand vous êtes assis dans des fauteuils inconfortables ! Ici nul sous-titre : tout doit être compris très rapidement, et le signifiant a presque autant d’importance que le signifié. Autrement dit, sans pédantisme cette fois-ci, les symboles utilisés sur scène ont autant de poids que les mots utilisés pour raconter explicitement l’histoire.
Ainsi l’opéra repose sur des conventions bien pratiques.
Une voix aiguë représente la jeunesse, reposant en cela sur notre expérience universelle des voix qui deviennent graves à l’âge adulte, à cause de l’étirement et l’épaississement des cordes vocales, ainsi qu’au changement de place du larynx.
Avec la jeunesse, se joignent d’autres représentations communes dans la culture occidentale, reposant sur des archétypes. La jeunesse est naïve, la jeunesse s’enflamme d’un premier amour, etc.
Parmi ces archétypes, vous aurez Tony, dans West Side Story de Berstein, Tonio dans la Fille du Régiment de Donnizzeti, ou Calaf dans Turandot de Puccini et Siegfried dans L’anneau du Nibelung de Wagner.
Ils seront incarnés par des chanteurs dont l’âge importe peu, tant qu’ils ont la voix d’un jeune homme, une voix de ténor. Ainsi Placido Domingo interprète en 2007, à 66 ans, le rôle d’Oreste dans Iphigénie en Tauride, personnage qui doit avoir une trentaine d’années.
Une convention qui a évolué dans le temps
Rien n’étant gravé dans le marbre, et si, au début de l’opéra, on confia au ténor les rôles de jeune premier transi d’amour, comme Orfeo dans l’Orfeo de Monteverdi, il se vit ensuite dévolu aux personnages mineurs ou bouffons.
En effet, vers le XVIIe siècle, le castrat remplaça le ténor. Ces nouvelles voix, plus souples et plus aiguës, s’emparèrent des rôles de jeune premier et repoussèrent le pauvre ténor un peu plus bas dans l’échelle des personnages. Ainsi dans l’Orfeo de Rossi, Orfeo est interprété par un castrat, et le ténor ne joue plus que des rôles secondaires, comme celui de Caronte, ou Charon, qui fait traverser aux morts le Styx pour se rendre aux Enfers.
L’arrivée de rôles de femmes travestis renforce encore le lien entre jeunesse et voix aiguë : le jeune homme à peine sorti de l’enfance pourra désormais avoirune voix de mezzo-soprano.
Le ténor devient alors le père, le tyran, voire prend des rôles de méchant, comme Tybalt dans I Capuleti e i Montecchi de Bellini –
Roméo, quant à lui, est interprété par une mezzo-soprano, car plus jeune que son ennemi juré Tybalt ; le baryton tient le rôle du prêtre, représentant la sagesse ; et le père de Juliette sera chanté par une basse, pour incarner l’autorité.
Une convention dont on peut jouer : l’ambiguïté du ténor
La convention, si elle est une contrainte pratique, peut aussi devenir subversion et ainsi être doublement porteuse de sens.
Ainsi dans Rigoletto de Verdi, le ténor est un jeune homme riche, qui va se jouer de la pauvre Gilda, la séduisant pour mieux l’abandonner.. Ici se déploie les multiples registres théâtraux possibles de la voix du ténor trouve toute sa puissance. Il est à la fois ce jeune amoureux, plein de fougue, tel un Roméo. Mais aussi ce jeune homme sans foi ni loi, guidé par son seul plaisir.
L’ambiguïté peut-être encore plus poussée, sortant les personnages d’un simple manichéisme.
Par exemple, Don José et Escamillo se disputent les faveurs de Carmen. Don José, amoureux transi et jeune officier, est ténor. Escamillo, le torero séducteur, représente la richesse d’un milieu social aisé, et la stabilité pour une Carmen qui se lasse d’être sur les routes à la merci du destin ; il est donc baryton-basse, évidemment.
La voix de ténor de Don José porte en elle toutes les contradictions de son rôle. Don José est un jeune naïf au début de l’opéra. Mais c’est également un soldat, dévoré par la jalousie, qui finit par tuer Carmen de dépit. Ainsi, sa voix de ténor, porte dès le début, la tension entre une forme d’innocence de l’amour, et la réelle violence de l’expression du désir, jusqu’à la violence.
Enfin, on peut se jouer des conventions pour mieux créer des décalages qui provoquent le rire. C’est ce que fait Offenbach, bien au fait des conventions historiques entourant la voix de ténor, dans Orphée aux Enfers.
Orphée est à nouveau chanté par un ténor, mais il n’est plus un jeune poète énamouré. Au contraire, il se réjouit de la mort de sa femme, dont la disparition bienvenue lui permet de batifoler librement avec les nymphes.
De même, Aristée, le jeune pâtre qui séduit Eurydice, se révèle être Pluton, dieu des Enfers. Sa voix de ténor, parfois utilisée même en voix de tête dans l’air où il se présente, souligne son côté faux, menteur. En deux couplets, nous comprenons qu’il n’est pas ce qu’il paraît être. Plus tard, il utilisera cette même voix aiguë pour flagorner le roi des dieux, soulignant à nouveau la fausseté de son propos. Le décalage provoque ainsi le rire, de manière presque guignolesque.
SOURCES :
[https://www.olyrix.com/artistes/2881/placido-domingo/biographie]
[https://www.nationalgeographic.fr/sciences/vieillissement-muscles-cordes-vocales-pourquoi-notre-voix-change-t-elle-avec-age]
[https://fr.wikipedia.org/wiki/Castrat]
[https://fr.wikipedia.org/wiki/Orfeo_(Rossi)]
[https://www.oyakephale.fr/blog/le-role-travesti-de-fragoletto/]
Rédaction de l'article
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