Quelle importance a le costume au théâtre ?

Ah ! le plaisir de se déguiser ! de se travestir ! d’être pour quelques instants, grâce à un foulard ou un chapeau, quelqu’un d’autre, et jouer la comédie ! Dans nos jeux d’enfants, le déguisement est le moyen privilégié pour devenir quelqu’un d’autre. Et pourtant, au théâtre où tout le métier du comédien consiste à changer de personnalité, on ne se costume pas depuis si longtemps. 

Si vous avez déjà eu la chance de visiter le palais Garnier ou le Centre national du costume et de la scène, vous avez pu voir des tenues portées par des étoiles ou des comédiens célèbres. De près, vous avez pu apercevoir nombre de détails brodés, de perles, de dorures mais aussi de nombreuses traces d’usure, de reprises, de coutures apparentes : splendeur et misère des costumes de scène. Ces détails disent bien l’importance que le costume a gagné au fil des siècles. Richement travaillé, il est devenu un élément important de la représentation scénique.

Quelle est donc la place du costume dans la mise en scène ?

Le costume, cette « seconde peau » du comédien

Le costume de scène désigne le vêtement porté sur scène par les comédiens. Il permet d’abord au spectateur d’identifier rapidement les personnages, y compris depuis le fond de la salle de théâtre : des couleurs, une silhouette sont associées à un individu. Les costumes sont d’ailleurs souvent exagérés afin d’être vus de loin : traînes, coiffes, maquillage exagéré. Les couleurs, notamment, sont un élément visuel souvent utilisé pour définir des familles de personnages ou en démarquer certains. Ainsi, dans la mise en scène de Roméo et Juliette de Thomas Jolly (Bastille, 2023), Juliette est toujours vêtue de blanc : on la distingue d’un coup d’oeil parmi les autres dames. 

Dans la mise en scène des Brigands joué par Oya Kephale (Théâtre Armande Béjart, 2023), le rouge est une couleur réservée aux Espagnols, qui se distingue comme un groupe particulier.  

Etablir un “costume”

Au-delà de  son rôle d’identification, le costume attribue une histoire au personnage. Pour dire « choisir le caractère d’un personnage», le XVIIIe siècle parle d’ailleurs « d’établir le costume » d’un rôle. Cela montre combien le costume et le caractère sont liés. Le vêtement du personnage révèle des informations sur les évènements qui ont précédé son entrée en scène, son époque, ou son statut social : les personnages de Madame Favart sont des personnes réelles du XVIIIe siècle ; la mise en scène peut choisir ou non  de conserver des costumes XVIIIe, comme l’a fait Oya Kephale (Théâtre Armande Béjart, 2024), afin de souligner l’ancrage des personnages dans cette époque. Ce choix permet aussi aux spectateurs de se projeter dans un certain type de relations, de niveau de langage, de vocabulaire etc. Un costume brillant, brodé, riche de dentelles,  trahira un statut social élevé, quand au contraire des couleurs sobres, des tissus mats indiqueront  une personne issue d’une classe modeste. Ainsi, le costume donne un contexte au personnage et participe à la construction du rôle. C’est d’autant plus clair dans le cas de la comédie, avec ses personnages stéréotypés ( matador, jeune premier, barbon, ingénue…), souvent issu de la commedia dell’arte, dont le costume signale le caractère aux spectateurs. 

Il peut également révéler une évolution du caractère du personnage au cours de la pièce : un enrichissement ou encore un changement de tempérament. C’est ce que la mise en scène de Podalydès suggère avec le personnage de Roxane dans Cyrano de Bergerac (Comédie Française, 2018). En effet, de précieuse en robe blanche, elle devient à l’acte IV l’équivalent de Cyrano en bravoure et elle porte une tenue d’aviateur de la même couleur que le costume de son cousin : orange. Le costume peut donc alors être perçu comme une forme de langage non-verbal, qui transmet un message visuel  aux spectateurs.

Extraits de la bande annonce de la Comédie Française (0:55-0:56), acte I et acte IV. 

D’ailleurs, si le costume permet d’exprimer le caractère du personnage, il permet aussi au comédien de s’approprier cette personnalité. Enfiler le costume de son personnage change le jeu de l’acteur : il se tient différemment, il parle différemment, il habite davantage son rôle.

La révolution du costume au XVIIIème siècle

Paradoxalement, le costume  n’apparaît que tardivement dans la tradition théâtrale, malgré l’importance qu’il revêt pour la profondeur des personnages. En effet, si le théâtre antique utilisait des masques afin d’exprimer les émotions, ce n’est qu’au XVIIIe siècle que le costume de scène naît à proprement parler. Jusqu’alors, on parlait encore d’”habit de comédie” pour désigner les tenues que portaient les comédiens, et il s’agissait de tenues leur appartenant, souvent offertes par des mécènes pour les jeunes actrices, et donc par conséquent richement ornées. Dans le cadre de la comédie, certaines tenues étaient achetées en friperie pour marquer une différence sociale sur scène. Mais l’envie de s’afficher étant plus forte que celle d’apporter du réalisme à son rôle, une servante de comédie pouvait, si elle avait un grand mécène, être mieux habillée que sa maîtresse ; le résultat n’était donc pas toujours visuellement convaincant.

Au XVIIIème siècle, deux actrices vont lancer une révolution dans les costumes de scène : Mme Favart apparaît en 1753 au Théâtre-Italien en bergère pour jouer le rôle de Bastienne. Son audace sera louée par son mari, Charles Favart : « j’ose dire que ma femme a été la première en France qui ait eu le courage de se mettre comme on le doit être lorsque l’on vit avec des sabots dans Bastien Bastienne » Sur la scène tragique, c’est La Clairon qui poursuivra cette tendance et elle justifiera ce changement dans ses Réflexions sur l’art dramatique en 1799 par un retour à une forme de réalisme. Elle sera soutenue dans ces déclarations par Diderot, grand ponte du réalisme sur scène, qui s’insurge contre ces « poupées poudrées frisées, pomponnées » qui prétendent jouer la mort d’un mari, d’un fils, la guerre, en conservant leur paniers et leur corset.

 

Madame Favart en costume de Ninette, Maurice Dumoulin, Favart et Madame Favart: un ménage d’artistes au XVIIIe siècle, Louis-Michaud, 1900.

A partir de cette époque, les comédiens vont s’inspirer des tableaux de peintres pour choisir un costume qui correspondra à leur personnage. Les peintres d’abord, puis les couturiers vont proposer des dessins de costumes destinés aux spectacles. Cela donnera naissance au métier de  costumier.

Permettre le spectaculaire, créer l’illusion

Lors d’une représentation, l’espace scénique devient un monde à part. Celui-ci peut être fictionnel ou ancré dans une réalité historique. Le costume permet alors de faire le lien entre le corps physique de l’acteur et le corps symbolique du personnage représenté. Il n’est pas là simplement pour faire joli, il possède un rôle dans l’illusion dramatique. Barthes résume cela ainsi : « le costume n’a pas pour charge de séduire l’œil mais de le convaincre ».

Le costume peut alors être considéré comme un élément de décor qui participe à la création d’une ambiance, d’un monde fictionnel. C’est le rôle qui peut être donné aux costumes dans l’opéra Médée mis en scène par David McVicar (Garnier, 2024). En effet, ils  reprennent les uniformes des différents corps d’armée (marine, terre, air). Ils participent ainsi à replacer l’histoire de Médée dans son contexte de guerre.

Le costume peut également, comme le souligne Susan Hilferty, costumière de Wicked (une production de Broadway, 2003), mettre en scène l’émerveillement. Pour représenter une fée, par exemple, être fictif, il suffira de  quelques paillettes et de tissus vaporeux tels que l’organza ou la mousseline, qui marquent son lien avec l’air. La costumière joue également sur les couches de tissu pour donner du volume. Le costume participe ainsi à la venue au monde d’une créature imaginaire.

Photo de Joan Marcus, The National touring Company of WICKED, The Hobby Center, for the performing arts.
Wicked, presented by Memorial Hermann Broadway at the Hobby Center

Le défi des costumiers

Mais la mise au jour de personnages et des mondes fictifs dans lesquels ils évoluent ne doit pas prendre le pas sur les contraintes réelles des artistes et acteurs qui endossent ces costumes. Les costumes participent à la création de cet univers, mais il s’agit uniquement d’une illusion de réalité.

L’importance de la visibilité

En effet, le costume est fait pour être vu sous la lumière des projecteurs depuis les fauteuils de la salle de spectacle. Le costumier doit donc prendre en compte les jeux de lumières et les modifications que cela peut entraîner. Par exemple, David McVitar utilise la lumière et ses réverbérations dans sa mise en scène (Médée, Garnier, 2024) pour faire briller de mille feux la robe de soleil, toute pailletée, portée par Créuse. Par ailleurs, les accessoires, notamment les chapeaux, doivent être pensés pour ne pas masquer le visage de l’acteur, surtout quand ils sont volumineux comme c’est le cas sur le plateau de Wicked (Broadway, 2003).

Contraintes scéniques et corporelles

D’autres contraintes, liées à la mise en scène ou aux besoins des comédiens, entrent en jeu dans la fabrication de costumes de scène. Chaque rôle requiert une attention particulière : cela peut aller de l’accessoire indispensable à la prise en compte dans le dessin du patron de contraintes scéniques. Dans Wicked, la costumière Susan Hilferty devait inclure des harnais dans les corsets de certains de ses acteurs afin de pouvoir les faire voler. Pour la production Madame Favart de Oya Kephale, il a fallu modifier des patrons afin d’y  ajouter des poches nécessaires pour contenir certains accessoires.

Parfois danseurs ou chanteurs, les comédiens ont des besoins liés à leur pratique scénique. Bien sûr, tous les costumes sont confectionnés sur mesure ou, dans le cas d’une réutilisation, repris par des couturiers pour aller comme un gant à l’acteur qui les portera. Dès leur création, on leur prévoit  un grand ourlet afin de pouvoir  les agrandir ou les raccourcir selon l’acteur qui les portera. Ils peuvent aussi être renforcés à certains endroits, ce qui prolonge leur durée de vie ; et les plus précieux sont conservés dans des conditions particulières, notamment au CNCS qui possède de nombreux costumes historiques, marqués à l’intérieur du col d’un ou plusieurs noms, ici d’un comédien réputé, là d’une chanteuse célèbre…

Les costumiers doivent aussi prendre en compte les besoins des interprètes afin de ne pas les gêner. La respiration, par exemple, est très importante pour le chant lyrique ; les cantatrices ne portent pas de corset ni de cols montants qui pourraient les gêner. Les costumes sont donc modifiés pour prendre en compte ces critères, jusqu’à retirer des baleines du corset ou surtailler un patron.

Conclusion

Il participe à la mise scène, il aide le comédien à jouer, il porte un personnage … Le costume de scène mérite bien l’importance qu’on lui donne dans les représentations scéniques, mais pour être réussi, il doit prendre compte de nombreuses contraintes, que sont chargées de résoudre les petites mains des couturiers.

 

SOURCES :

Monographies: 

  • Barthes Roland, “Les Maladies du costume de théâtre”, in Essais critiques, Paris, Seuil, 1964.
  • Diderot Denis, “De la poésie dramatique”, in Œuvres de théâtre de M. Diderot, Amsterdam, 1770.
  • Dumoulin, Maurice, Favart et Madame Favart: un ménage d’artistes au XVIIIe siècle, Louis-Michaud, 1900.

Articles : 

  • Huchard, Colette, “Le costume : évolution et transformation d’un langage», Études théâtrales, vol. 49, no. 3, 2010, pp. 161-163.
  • Naugrette, Catherine, “Entre Corps  et décor: les maladies du costume de théâtre, relire Barthes aujourd’hui”, Etudes théâtrales, 2017/1 (N°66), pp 169 -175, DOI 10.3917/etth.066.0169
  • Perilli, Fabio. “Le costume de scène pour la définition du personnage tragique. La ‘Réforme’ du dix-huitième siècle”. Modenesi, Marco, et al.. « La grâce de montrer son âme dans le vêtement » Scrivere di tessuti, abiti, accessori. Studi in onore di Liana Nissim : (Tomo I) – Dal Quattrocento al Settecento. Milano : Ledizioni, 2015. (pp. 321-332) Web. <http://books.openedition.org/ledizioni/6067>.
  • Château de Versailles, fiches thématiques “le costume de scène”, constulté le 26 avril 2024 fiche_thematique_-_le_costume_2_.pdf (chateauversailles.fr)

Reportages vidéo: 

Interview: 

  • Interview Marie Leclerc, costumière pour Oya Kephale, année 2023 et 2024, le 16 avril 2024, propos recueillis par Blandine Jenner. 

Rédaction de l'article

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