Le Théâtre des Variétés, situé dans le 2ème arrondissement de Paris, a accueilli la création de nombreux opéras-bouffes d’Offenbach dont La belle Hélène (1864), Barbe-Bleue (1866), La Grande-duchesse de Gérolstein (1867), La Périchole (1868) et Les Brigands (1869). Petite histoire de ce lieu important dans la carrière d’Offenbach.
Mlle Montansier : du monopole à l’inauguration des Variétés (1768-1807)
La création du Théâtre des Variétés est intrinsèquement liée à l’histoire de Mademoiselle Montansier, personnalité hors du commun née à Bayonne en 1730.
À 14 ans, celle qui s’appelle encore Marguerite Brunet décide de fuir les Ursulines de Bordeaux pour s’engager dans une troupe de comédiens et entamer sa carrière en Amérique. Elle arrive à Paris quelques années plus tard, mais peine à obtenir une véritable notoriété en tant que comédienne.
En 1768, elle obtient grâce à son ami, le riche marquis de Saint-Conty, la direction du petit théâtre de la rue Satory à Versailles. Elle découvre ainsi sa véritable vocation de directrice de théâtre. Le succès est au rendez-vous et Marguerite, qui a alors changé son nom pour Mlle Montansier (parfois même ornementé d’une particule), attire même l’attention de Marie-Antoinette. Ces faveurs royales lui permettent d’acquérir un nouveau théâtre, rue des Réservoirs. Mieux encore, elle obtient le titre de Directrice des Spectacles à la suite de la Cour, puis la direction des théâtres de Versailles, Fontainebleau, Saint-Cloud, Marly, Compiègne, Rouen, Caen, Orléans, Nantes et Le Havre.
L’ascension de Mlle Montansier ne fait que croître et elle obtient ensuite la direction du Théâtre des Beaujolais, au Palais-Royal (1788) rebaptisé alors Théâtre-Montansier. Malgré la Révolution, la réputation de cette nouvelle salle ne se dément pas et le théâtre est même agrandi en 1791.
Après quelques mois passés en Bruxelles à diriger le prestigieux Théâtre de la Monnaie, la Montansier revient à Paris en 1793 pour y faire construire un tout nouveau Théâtre-National, dans la rue de la Loi (actuellement la rue Richelieu).
Le régime de la Terreur interrompt quelque temps l’ascension de Mlle Montansier. Celle-ci est accusée de complot, arrêtée et jugée avant d’être finalement innocentée. En juin 1806 – la France est alors devenue un Empire – un décret du gouvernement ordonne l’évacuation du Théâtre du Palais-Royal – qui portait alors le nom de « Variétés » – dont la réussite commence à éclipser dangereusement celle du Théâtre-Français voisin (l’actuelle Comédie-Française).
Mlle Montansier, furieuse, obtient tout de même l’aide de l’Empereur, lequel lui accorde la construction d’une nouvelle salle au boulevard Montmartre. Cinq mois plus tard, le 24 juin 1807, la salle est inaugurée en grande pompe sous le nom de … « Théâtre des Variétés », avec un vaudeville de Marc-Antoine Désaugiers, le Panorama de Momus.
Les premiers succès et le déclin temporaire (1807-1864)
Le retentissement de la soirée inaugurale aurait pu être de courte durée puisque l’Empereur, toujours soucieux de ne pas faire trop d’ombre à la troupe du Théâtre-Français, estime que Paris compte beaucoup trop de salles de spectacles et en fait fermer près d’une vingtaine. Le Théâtre des Variétés est pourtant épargné et les succès continuent de s’accumuler, bien que la notoriété des pièces en question n’ait pas survécu jusqu’à nos jours.
La Montansier meurt le 13 juillet 1820. L’histoire, décidément bien cruelle, aura vite fait d’oublier le nom de cette infatigable directrice. Même lors du centenaire du Théâtre des Variétés, en 1907, l’historique du lieu est dressé dans la revue Le Théâtre sans que jamais ne soit cité le nom de sa fondatrice. De nos jours, aucune rue ni aucune plaque ne célèbre l’influence considérable de cette femme sur le paysage scénique parisien.
Pendant les années qui suivent la mort de la Montansier, plusieurs directeurs se succèdent et la popularité des œuvres présentées au Théâtre des Variétés oscille entre le succès d’estime (au mieux) et le four magistral. Au milieu des années 1850, il est même de bon ton d’aller railler les pièces invraisemblables des Variétés, pièces que l’on se met à appeler des « ours » suite à l’échec de la pièce L’Ours et le Pacha de Scribe (1820).
Le Théâtre est alors surnommé « La Ménagerie » et l’expression « on répète aux Variétés » commence à faire florès pour signifier un effort vain et inutile.
Hippolyte Cogniard prend la tête du théâtre en 1855 et peine quelque temps à donner une identité propre aux Variétés. La comédie est dominée par le Gymnase, la farce par le Palais-Royal et l’opéra-bouffe commence à trouver son public aux Bouffes-Parisiens, salle fraîchement inaugurée sous l’impulsion d’un certain… Jacques Offenbach. Après quelques années d’errance, Cogniard présente en 1864 une opérette d’Hervé, Le Joueur de Flûte. Le succès relatif de l’œuvre et un papier du Figaro paru en août de la même année servent de signal à Cogniard : les Variétés sont prêtes pour une transition de taille.
L’ère Offenbach (1864-1880)
L’homme providentiel sera Jacques Offenbach. Déjà fort de plusieurs créations glorieuses, Offenbach travaille à une nouvelle œuvre qu’il destine à Hortense Schneider, la coqueluche des scènes parisiennes. Cette Belle Hélène en chantier est d’abord proposée au Théâtre du Palais Royal. Mais Schneider s’est brouillée avec la direction et c’est finalement le Théâtre des Variétés qui se propose d’accueillir ce nouveau projet, malgré le cachet exorbitant exigé par la chanteuse.
La Belle Hélène, créée le 17 décembre 1864, est un triomphe sans appel. L’œuvre permet au Théâtre des Variétés de renouveler son genre et son identité, et à Offenbach de confirmer sa transition créatrice de l’opérette en un acte vers des œuvres de format plus ambitieux (transition déjà entamée aux Bouffes-Parisiens). Après des années à voir les titres se chasser les uns les autres à un rythme effréné, la Belle Hélène reste au contraire à l’affiche pendant plusieurs mois. L’œuvre est reprise à la saison suivante et, quelques mois plus tard, Offenbach confirme le succès de cette nouvelle collaboration avec les Variétés en présentant son nouveau Barbe-Bleue, qui restera lui aussi à l’affiche pendant de longs mois.
Chaque nouvelle saison voit ensuite venir le « nouvel Offenbach » à la mode. En 1867, la Grande Duchesse de Gérolstein conquiert le cœur du public – à défaut de celui de la presse, un peu plus réservée – y compris celui de Napoléon III, qui assiste au moins à deux représentations. Vient ensuite la Périchole en 1868, menée en parallèle d’autres projets pour d’autres salles, puis Les Brigands en 1869.
Hélas, la fin du Second Empire va également marquer la fin de ces années brillantes. Le pays est épuisé par la guerre contre la Prusse. L’heure n’est plus tout à fait à la fête ni au divertissement. Les salles parisiennes ferment les unes après les autres. À l’issue de la bataille de Rezonville, le 18 août 1870, les Variétés sont transformées en infirmerie temporaire.
Le changement de régime politique est également une transition pour le théâtre des Variétés. La collaboration avec Offenbach ne s’est pas pour autant arrêtée : on reprend La Vie parisienne et on crée Les Braconniers en 1873, La Périchole est remontée dans une nouvelle mouture, on crée La Boulangère a des écus (1875) ainsi que Le Docteur Ox (1877), on reprend La Belle Hélène (1876). Mais les succès ne sont plus aussi systématiques et c’est Labiche qui est désormais le grand triomphateur des Variétés.
Offenbach meurt en 1880, entièrement absorbé par ses Contes d’Hoffmann (prévus pour l’Opéra-comique) dont il ne verra jamais la création.
Depuis Offenbach (1880 à nos jours)
Pendant la Belle Époque, le répertoire lyrique des Variétés peine à s’imposer, malgré la tenue entre 1904 et 1905 d’un festival consacré à l’opérette. Mistinguett obtient ses premiers succès aux Variétés à partir de 1911 (elle tiendra notamment le rôle de Pauline dans une reprise de La Vie parisienne), avant de s’imposer comme reine du music-hall. Ces années sont fastes pour le Théâtre des Variétés mais elles montrent un léger changement de cap dans le répertoire quotidien de la salle.
Après la Première Guerre mondiale, les Variétés sont surtout marquées par les pièces de Sacha Guitry et par la création éclatante de Ciboulette de Reynaldo Hahn (1923). À la veille de la Seconde Guerre, c’est Pagnol qui triomphe désormais. L’après-guerre marque ensuite les ères de Maurice Chevalier, Bourvil, de Funès, Fernandel dans les années 1960, Jacques Martin dans les années 1970 et bien d’autres encore… Si les succès des Variétés continuent de s’aligner encore aujourd’hui, la salle n’est plus le temple de l’opérette qu’elle était autrefois. Les goûts du public ont changé et les Variétés ont dû s’adapter.
La salle reste pourtant indissociable des deux grands noms qui l’ont façonnée durablement : Mlle Montansier et bien sûr… Jacques Offenbach.
Illustration de l’article : Le théâtre des Variétés et le passage des panoramas, boulevard Montmartre, vers 1820, Paris, Musée Carnavalet.
Rédaction de l'article