Oya Kephale : pourquoi ce nom ?

« Oya Kephale » (prononcer oya kéfalé), est extrait d’un couplet d’Oreste dans La Belle Hélène (1ère opérette réalisée par la troupe en 1995). Ces mots de grec signifient « Quelle tête ! », sous-entendu “Quelle tête il fait !”

 

En 1864, date de la création de La Belle Hélène, le public du théâtre des Variétés était semble-t-il suffisamment lettré pour comprendre ce passage. Kephale comptait probablement parmi les premiers mots de grec que l’on apprenait. 

 

Voici le contexte : 

Oreste, fils turbulent d’Agamemnon, entre dans le temple de Jupiter accompagné de “dames de Corinthe” – comprendre : des femmes de petite vertu. La Reine Hélène, et surtout le grand augure de Jupiter, Calchas, sont quelque peu gênés de leur arrivée dans le lieu sacré.

 

Extrait du livret :

HÉLÈNE, se retournant vers la droite avant d’entrer dans le temple.

Tiens ! il est avec Parthénis… Elle s’habille bien, cette Parthénis ! Il n’y a que ces femmes-là pour s’habiller avec cette audace !

Entrée d’Oreste, entrée vive et bruyante. Une petite troupe de joueuses de flûte et de danseuses accompagne Oreste, Parthénis et Léæna. Toute la bande se précipite sur Calchas et l’enveloppe.

CALCHAS, regardant à droite.

Et dire que c’est le fils d’Agamemnon, le fils de mon roi !…

TOUS.

Ohé ! Calchas ! ohé !

ORESTE, à Calchas (chanté).

    Au cabaret du Labyrinthe

    Cette nuit, j’ai soupé, mon vieux,

    Avec ces dames de Corinthe,

    Tout ce que la Grèce a de mieux.

    (Présentant à Calchas Parthénis et Léæna)

    C’est Parthénis et Léæna,

    Qui m’ont dit te vouloir connaître.

CALCHAS, passant entre les deux femmes.

    Pouvais-je m’attendre à cela ?

    Mesdames, j’ai bien l’honneur d’être…

ORESTE.

    C’est Parthénis et Léæna !

TOUS.

    C’est Parthénis et Léæna !

Danses autour de Calchas sur un accompagnement de flûtes et de cymbales.

    Tsing la la, tsing la la !

                     Oya Kephale, Kephale, o la la !

    Tsing la la, tsing la la !

 

La joyeuse troupe se moque des airs que prend Calchas, qui peine à garder sa dignité au milieu de cette excitation.

 

 

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Une opérette, c’est quoi ?

« Général d’opérette », « république d’opérette », « une vulgaire chanteuse d’opérette »… Le terme d’opérette n’a décidément pas bonne presse, et on l’utilise volontiers pour donner une tournure péjorative aux personnages et aux situations que l’on veut décrédibiliser.

Partant, nombreux sont ceux qui n’ont jamais vu une seule opérette et qui s’imaginent qu’il ne s’agit que d’une forme d’opéra de second rang. Un tel préjugé ne date pas d’aujourd’hui. Dès le milieu du XIXe siècle, le critique musical François-Joseph Fétis définissait l’opérette ainsi dans le Littré (1863-1873): « Mot qui a passé de la langue allemande dans le français, et par lequel on désigne de petits opéras sans importance par rapport à l’art ».

Certes, tout préjugé a un petit fondement de vérité. Alors, l’opérette, c’est juste un opéra léger ou un petit opéra ? Ou les deux en même temps, mon général ?

Une définition rigoureuse de l’opérette paraît très délicate, tant le genre est devenu protéiforme au gré des évolutions qu’il a connues dans son histoire.

Alors, sans prétendre vous apprendre ce qu’est l’opérette, osons au moins vous dire ce qu’elle n’est pas vraiment !

L’opérette, un petit opéra ?

L’opérette serait selon ce premier point de vue une forme réduite de l’opéra, qu’attesterait d’ailleurs la portée diminutive du suffixe -ette:  maisonnette, fillette, ou… bolinette comme dirait Numérobis.

Mais en quoi l’opérette serait-elle moins grande qu’un opéra ? Du fait d’un lieu de production plus modeste, d’une durée plus brève, d’un argument plus ramassé, d’un plus petit nombre de personnages, ou d’instrumentistes ?

L’opérette française sous Offenbach

La question du lieu de la création est une caractéristique fondatrice du genre de l’opérette.

A l’époque des « pères » de l’opérette, que furent Hervé ou Offenbach, une réglementation particulièrement stricte encadrait les productions théâtrales. Héritée d’un système de privilèges établi sous le premier Empire, elle limitait le nombre de salles de théâtres – d’abord à 8 sous Napoléon Ier – et elle régulait le type de spectacles pouvant y être joués.

Des dérogations ont progressivement été accordées au début du Second Empire, permettant notamment à Offenbach d’ouvrir un petit théâtre, bénéficiant de l’autorisation d’y produire des « scènes comiques et musicales dialoguées à deux ou trois personnages ».

Le théâtre des Bouffes Parisiens voit le jour en 1855, et Offenbach peut y diriger ses premières opérettes, comme Les Deux aveugles et Le Violoneux. Ces œuvres respectent alors les restrictions énoncées, et, de fait, les caractéristiques de durée et d’effectif limités.

Caricature d’Offenbach cherchant une nouvelle salle pour le théâtre qu’il vient de créer. Après avoir connu le succès estival de l’Exposition universelle, le théâtre des Bouffes-Parisiens quitte les Champs-Elysées, et emménage dès l’hiver 1855 à la salle Choiseul, proche de l’Opéra-Comique.

Ainsi, le livret tient le plus souvent en un acte unique. Par conséquent, la durée d’une opérette sera mécaniquement plus courte que celle d’un opéra, qui se décline en deux, trois voire quatre ou cinq actes.

Mais Offenbach persévère. Petit à petit, il s’affranchit de ces restrictions et compose des pièces plus longues, avec un quatrième personnage (Bataclan, 1855), puis un cinquième (Croquefer, 1857), jusqu’à même pouvoir y insérer des chœurs ! C’est alors que le répertoire d’Offenbach évolue vers un registre plus proche de l’opéra-comique, avec Orphée aux enfers, créé en 1858. L’opérette est peu à peu délaissée au gré de l’assouplissement réglementaire, qui culmine avec la parution du décret sur la liberté des théâtres en 1864. Offenbach ne compose que très rarement des opérettes à partir de cette période, et il se consacre essentiellement à l’écriture d’opéras-bouffes, d’opéras-fééries et d’opéras-comiques, œuvres plus « grandes » par leur durée et leur effectif.

De grandes opérettes ?

Hélas, on ne peut s’arrêter à ce critère de taille pour définir l’opérette, le terme ayant été revendiqué par des compositeurs plus tardifs qui s’en sont écartés.

Ainsi en est-il des opérettes autrichiennes, dont les plus célèbres, comme La Chauve-souris (1874) de Johann Strauss fils, ou La Veuve joyeuse (écrite en 1874, mais créée en 1905) de Franz Lehar, sont écrites en trois actes, et incluent un grand nombre de personnages, des chœurs, ainsi qu’une instrumentation étoffée.

De même, les opérettes françaises du XXe siècle échappent à ces critères, quand on songe à celles de Maurice Yvain (Là-haut, 1922), d’André Messager (Coups de roulis, 1928) ou de Francis Lopez (Le Chanteur de Mexico, 1955).

Luis Mariano « Le chanteur de Mexico » (Archive INA). Le Chanteur de Mexico, air extrait de l’opérette éponyme, immortalisé par le ténor Luis Mariano.

Mais alors, quel est le point commun entre ces dernières pièces et les opérettes originelles d’Offenbach ?

L’opérette, un opéra qui ne se prend pas au sérieux ?

Peut-être serait-ce le critère du caractère léger et satirique qui pourrait alors servir de dénominateur commun aux différentes formes d’opérette.

L’opérette en opposition à l’opéra ?

C’est en effet sous cet angle que l’on aime à distinguer d’une part, le genre de l’opéra, solennel, grandiose, grave et noble, qui séduit les classes intellectuelles et aristocratiques, et d’autre part, le genre de l’opérette, trivial, burlesque voire ridicule, qui n’amuserait que la petite bourgeoisie. Cette distinction est hélas bien trop exagérée, et là encore, la faute peut être imputée à ce suffixe en -ette, qui n’aide pas, avec sa connotation souvent dégradante (mauviette, pichenette, lavette etc.).

De plus, elle est erronée, car confusion est ici faite entre opera-buffa et opérette. L’opérette n’est en effet pas un produit dérivé de l’opéra, comme l’est l’opera-buffa, qui s’est développé à partir de l’operia-seria, et qui inspirera les opéras-bouffes d’Offenbach.

La satire oui, mais pas n’importe laquelle…

Certes, l’opérette demeure une œuvre souvent satirique et peut même avoir des allures de farce. Mais l’opera-buffa s’appuie tout de même sur des thèmes ou des personnages tirés d’une littérature savante, évoluant dans une intrigue relativement élaborée qui explore les moeurs de l’époque – et la façon dont elles sont habilement contournées, comme il Barbiere di Siviglia de Rossini ou Cosi fan tutte de Mozart. L’opérette, quant à elle, met en avant des situations plus familières et proches du quotidien, dans une narration qui relève plus du vaudeville que de la comédie, sans autre but que de distraire.

il Barbiere di Siviglia – Rossini Opéra de Rouen-Normandie 2019, Finale de l’acte II (version de l’Opéra de Rouen-Normandie, mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau). L’opérette et surtout l’opéra-bouffe reprennent les motifs satiriques et les airs enjoués de l’opera-buffa, lequel demeure cependant caractérisé par une finalité morale, ici inspiré de la pièce de Beaumarchais, Le Barbier de Séville ou La Précaution inutile.

De plus, contrairement à l’opera-buffa, l’opérette comporte des dialogues parlés – ce qui la rapproche alors de l’opéra-comique. Mais là encore, ce critère de proximité avec le genre du vaudeville ne s’applique pas tellement aux opérettes autrichiennes évoquées plus haut. L’on pourrait d’ailleurs presque croire que ces dernières relèveraient plus de l’opéra-bouffe, et que le terme d’opérette leur serait appliqué pour mieux souligner l’influence d’Offenbach. Notons d’ailleurs que le livret de La Chauve-souris trouve son origine dans une comédie de Meilhac et Halévy (Le Réveillon), qui furent eux-mêmes librettistes d’un grand nombre d’œuvres offenbachiennes.

La Chauve-Souris, quoiqu’intitulé “opérette” par Strauss lui-même, ressemblerait davantage à un opéra-bouffe offenbachien. Ici l’air du Prince Orlofsky “Im Feuerstrom der Reben dont l’ambiance n’est guère éloignée du final de l’acte III de La Vie parisienne: Die Fledermaus – English subtitles – Bavarian State Orchestra 1987 – Kleiber Wachter Coburn. Source de l’image : carte postale pour le 25e jubilé de la création de la Chauve-souris, Wienbibliothek, WBR, HS, HIN-223954.

Mais alors, qu’est-ce qu’une opérette ?

Comme annoncé d’emblée, il était plus évident de dire ce que n’est pas une opérette. Dire ce qu’elle est précisément, c’est prendre le risque de la figer dans un genre artificiel, qui ne tient pas compte de la réalité historique – celle d’une incrémentation progressive d’influences des différents compositeurs d’opérettes à travers les âges et les pays. Et pour celles et ceux qui voudront encore obtenir une définition canonique de l’opérette, il faudra se contenter de rechercher un faisceau d’indices à la manière des juristes, en gardant en tête que ces critères sont loin de s’autosuffire :

  • Brièveté du livret
  • Effectif réduit, tant pour les chanteurs que les instrumentistes
  • Thème léger et satirique, proche du vaudeville
  • Présence de dialogues parlés

Si vous avez bien suivi, vous aurez donc compris que, malgré les abus de langage, Oya Kephale n’a jamais produit une seule opérette ! Eh oui, si Offenbach est, pour l’heure, le seul compositeur que nous mettons à l’honneur au théâtre d’Asnières, nous n’avons joué que ses opéra-bouffes et ses opéra-fééries.

Sources

 

 

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Mais qui est Jacques Offenbach ?

Si le nom d’Offenbach sonne familier pour beaucoup, bien peu sont capables de fredonner l’un de ses airs  – au-delà du cercle ésotérique des fanatiques de musique classique. Et pourtant, s’ils ont le malheur de tomber sur un musicien excité de la troupe Oya Kephale qui leur explique qu’il a forcément déjà entendu ça, ils se ravisent et affirment d’un ton assuré « Ah, mais oui, c’est le mec qui a fait le French can-can ! »

 

 

Las, il faut alors entreprendre de leur expliquer que ce n’est pas exactement ça, que le Moulin Rouge a ouvert dix ans après la mort d’Offenbach et que sa vie est loin de se résumer à ces quelques mesures légères et endiablées, qui ont certes fait le tour du monde.

 

 

 

Un enfant prodige

Jakob Offenbach naît en 1819 à Cologne, d’un père musicien et chantre à la synagogue. Il révèle très tôt d’excellentes aptitudes pour la composition et pour la pratique du violon, puis du violoncelle.

Son père lui fait quitter l’Allemagne dans l’espoir de le faire admettre au Conservatoire de Paris. Son talent lui vaut d’être accepté par son directeur, Luigi Cherubini, et ce malgré son jeune âge (14 ans) et sa citoyenneté allemande. Rappelons que Liszt et Franck avaient été refusés peu avant au Conservatoire, du fait de leur citoyenneté étrangère. Il adopte alors le prénom de Jacques, et s’empresse d’achever ses études pour tenter de vivre de sa musique.

De la musique de théâtre à l’opéra-bouffe

Il intègre en 1835 l’Opéra-Comique comme violoncelliste permanent, et il y découvre notamment le théâtre et le développement du répertoire lyrique. Parallèlement, il se produit dans les salons et se fait remarquer par son jeu virtuose.

C’est en 1850 que sa vocation de compositeur d’œuvres lyriques se confirme, lorsqu’il devient directeur musical de la Comédie-Française.

Il écrit ses premières opérettes en 1853 mais, à son grand désarroi, ne parvient pas à les faire jouer à l’Opéra-Comique. C’est alors qu’il crée le Théâtre des Bouffes-Parisiens où il peut librement faire jouer ses compositions. La position astucieuse de ce théâtre, sur l’avenue des Champs-Elysées, lui permet aussi de drainer un public particulier, celui de l’Exposition universelle de 1855. Le succès de ses premières pièces fait grandir sa notoriété, et lui vaudra d’être surnommé par Rossini « le petit Mozart des Champs-Elysées ».

C’est d’ailleurs l’opera-buffa de Rossini qui inspire le nouveau genre qu’Offenbach entend développer après celui de l’opérette : l’opéra-bouffe. Orphée aux enfers, « opéra-bouffon », fait figure d’œuvre pionnière de ce genre et lui assure un succès progressif. C’est notamment dans cette œuvre que l’on retrouve le fameux galop infernal, repris en can‑can par la suite.

 

 

Divertir le Second empire … et le reste du monde

Après avoir quitté la direction du Théâtre des Bouffes-Parisiens en 1862, Offenbach est très sollicité par les grandes salles parisiennes : au Théâtre des Variétés sont créées La Belle Hélène, Barbe-Bleue, La Grande Duchesse de Gérolstein, La Périchole, et Les Brigands, et à celui du Palais-Royal, La Vie parisienne. Ces œuvres, qui dépeignent, non sans ironie, les grandes heures du Second Empire, suscitent un engouement croissant, et marquent un véritable apogée dans la carrière d’Offenbach.

Il retrouve également la fosse de l’Opéra-Comique, mais cette fois-ci à la direction, en y créant plusieurs œuvres comme Robinson Crusoé et Vert-Vert. La popularité qu’Offenbach acquiert avec ses opéras-bouffes et ses mélodies gagne le reste de l’Europe, en particulier Vienne, où il produit systématiquement une version allemande de ses œuvres. Sa renommée s’étend aussi outre-Atlantique, et lui vaudra une tournée mémorable aux États-Unis en 1876.

Une dernière décennie en dents de scie

Cet heureux épisode intervient cependant au cours d’une période contrastée pour Offenbach. Les années 1870 marquent en effet un tournant dans la vie politique et culturelle en France : le Second Empire prend fin à la suite de la défaite de Sedan. Un esprit revanchard, galvanisé par la perte de l’Alsace et de la Moselle, gagne toutes les couches de la société française. La Prusse et ses ressortissants sont pris pour cibles, et Offenbach n’est pas épargné. Malgré la Légion d’Honneur et la nationalité française qu’il a obtenues quelques années plus tôt, il se sent persona non grata et quitte Paris, puis la France. À son retour en 1873, il devient directeur du Théâtre de la Gaîté, où il crée ses premiers opéras-fééries (Le Roi Carotte, Le Voyage dans la Lune).

Il meurt en 1880, quelques mois avant la création des Contes d’Hoffmann, qui deviendra l’un des opéras français les plus joués, après Carmen de Bizet. Auteur d’une centaine d’œuvres lyriques, Offenbach s’est indéniablement imposé comme une figure incontournable du Second Empire puis comme un compositeur de référence dans l’histoire de la musique.

Dates-clefs

  • 1819 : naissance à Cologne (Allemagne).
  • 1833 : admission au Conservatoire de Paris, dans la classe de violoncelle.
  • 1850 : nomination comme directeur musical de la Comédie Française.
  • 1855 : création de son propre théâtre, les Bouffes-Parisiens, sur l’avenue des Champs-Elysées.
  • 1858 : création d’Orphée aux enfers, premier opéra-bouffe.
  • 1860 : obtention de la nationalité française.
  • 1873 : prise de fonctions comme directeur du théâtre de la Gaîté.
  • 1876 : tournée aux Etats-Unis.
  • 1880 : décès à Paris.
  • 1881 : première représentation des Contes d’Hoffmann.

 

Sources

 

 

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Pourquoi le hautbois donne-t-il le la ?

Dès les premières minutes d’un concert d’orchestre, vous l’aurez compris : le Crédit Mutuel ne possède pas le monopole du don du la.

Les instrumentistes arrivent sur scène, préchauffent un peu leur instrument, rafistolent peut-être les derniers passages incertains. Soudain, le premier hautbois se lève: silence religieux du public et des musiciens.

Le hautboïste sonne fièrement un la, annonce d’un capharnaüm-prélude au concert, rite naturel et nécessaire.

 

 

Recette simple et rapide pour accorder un orchestre symphonique :

Un accord d’orchestre réalisé dans les règles de l’art se déroule ainsi : 

  1. Le hautbois donne d’abord le la aux vents. Pour les instruments transpositeurs (lien vers un article dédié) qui le préfèreraient, un si bémol sera parfois proposé dans un second temps.
  2. Une fois les vents accordés, le hautboïste communique ce même la au premier violoniste.
  3. Parce qu’il est plus facile d’accorder son instrument par rapport à un timbre proche, c’est le premier violon qui reprend le flambeau et supervise l’accord des cordes, pupitre par pupitre, des plus graves (contrebasses et violoncelles) aux plus aigus (altos et violons).
  4. Ce n’est que lorsque chaque pupitre a amené sa corde de la à la hauteur désirée que les trois autres sont réglées, et que l’ensemble des membres de l’orchestre peaufine son accord.

Le concert est alors prêt à être dégusté.

Ça, ce sont les règles du jeu officielles. Il peut arriver que, par économie de temps, le hautbois livre son la et puis… chacun pour sa peau! 

La première violoniste de la troupe en quête d’un la

Mais pourquoi le hautbois comme référence?

Trêve de suspense : point de certitudes sur le pourquoi du comment du hautbois qui donne le la. Seulement des hypothèses.

L’une d’entre elles voudrait que le timbre bien particulier du hautbois (une clarinette peut éventuellement faire l’affaire en cas de retard du hautboïste), clair et facilement identifiable, permette à chaque musicien de s’y retrouver dans le brouhaha ambiant. 

Une émission plus constante (donc une justesse plus stable) de cet instrument par rapport aux instruments à cordes pourrait aussi expliquer pourquoi ce n’est pas le premier violon (pourtant honoré du titre de Konzertmeister, “maître de concert”) qui met tout l’ensemble d’accord. 

La raison pourrait enfin être géographique : le hautbois se situant plus ou moins au milieu de l’orchestre, il n’a qu’à se tourner vers ses collègues pour leur signifier de suivre sa note. 

Mais est-ce que tout ce spectacle est vraiment nécessaire?

Absolument. Je dirais même plus  : un second accord est parfois nécessaire, après l’entracte ou entre deux longues pièces. 

Les instruments ont en effet une fâcheuse tendance à se désaccorder. Les instruments faits de bois subissent les variations d’hygrométrie et de température, “travaillent” et “bougent”, à la manière des parquets des vieilles maisons. 

Les vents, sont sujets à d’autres lois impénétrables de la physique : à force de souffler dans l’embouchure, la température monte, la hauteur de la note augmente aussi… 

Un orchestre n’est pas juste un rassemblement de musiciens individuels, c’est un ensemble aux couleurs homogènes. Imaginez une seule seconde, si chacun s’accordait de son côté, de façon désordonnée, suivant son propre diapason : ça ferait des grumeaux aux oreilles. La recette donnée plus haut est donc nécessaire, CQFD. 

Enfin, le moment de l’accord est un point de repère. Les musiciens se remettent “dans le son” de l’orchestre, le public se tait, le concert va commencer. 

Pendant ce temps, le chef d’orchestre, resté en coulisses, travaille activement à se faire désirer.

Il finit par pointer son nez… vague d’applaudissements… silence… geste… Bon concert ! 

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Faust, l’opéra phare de Gounod

L’opéra Faust de Charles Gounod, composé entre 1839 et 1859 sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, s’inspire grandement du mythe allemand de Faust, notamment de la tragédie écrite par Goethe en 1808. Il se focalise toutefois davantage sur l’histoire d’amour entre le Docteur Faust et Marguerite que sur les questionnements philosophiques et moraux. Il s’agit d’une histoire de tentation et de rédemption, de passion et de désillusion où les âmes tourmentées sont mises en abîme par la partition novatrice de Gounod. Alternant des passages empreints de tendresse et de lyrisme avec des scènes d’horreur et de tension, l’oeuvre demeure un succès à l’heure actuelle et fait partie des opéras français les plus représentés à travers le globe.

Résumé de l’œuvre

Au premier acte, l’action se déroule dans le cabinet du vieux Docteur Faust qui se lamente sur son sort et sur son impuissance, prêt à mettre un terme à sa vie par le poison. Il s’est détourné de la science par désespoir et par solitude, et ne croit plus en rien. C’est alors qu’il invoque Satan (apparaissant sous les traits de Méphistophélès) qui intervient en proposant à Faust de lui accorder son voeu le plus cher en échange de ses services dans l’au-delà : retrouver la jeunesse pour séduire la jeune Marguerite, Méphistophélès ayant montré un portrait de la jeune fille au rouet au vieux docteur. N’y tenant plus, Faust implore Méphistophélès de le faire rajeunir : Méphistophélès donne une potion magique à Faust après avoir signé le pacte qui relie les deux hommes.

Dans le second acte, nous sommes en pleine kermesse. Marguerite assiste au départ à la guerre de son frère Valentin, lequel s’attriste de devoir laisser sa soeur sans protection. Elle lui donne un médaillon pour le protéger du danger, il la confie à ses amis Wagner et Siebel qui jurent de la protéger, ce qui rassure Valentin. Méphistophélès déclame la Ronde du Veau d’or, véritable éloge du pouvoir suprême de l’argent qui 6 corrompt les moeurs et les âmes. Suite à ce moment d’horreur collectif, Wagner et Siebel sont victimes de mauvais présages laissant croire à un malheur prochain : le premier lit la mort de Valentin sur les lignes de sa main, le second fait faner toutes les fleurs qu’il touche. Lorsque Méphistophélès parle de Marguerite, Valentin tente de l’attaquer à l’épée : le fer se brise, au grand étonnement de toutes les personnes présentes (donnant lieu à un choeur mémorable). Entouré et aidé par ses amis, Valentin et les autres forment une croix en brandissant leurs épées, repoussant Méphistophélès. Faust aborde Marguerite en lui offrant son bras qu’elle refuse à la fin de l’acte.

Le troisième acte contient des scènes décisives pour le destin de Faust et de Marguerite. Il débute dans le jardin de Marguerite, où la jeune fille doit choisir entre un bouquet de fleurs déposé par Siebel et un coffret rempli de bijoux de Méphistophélès au nom de Faust. Ce dernier exprime son impatience dans l’air « Salut, demeure chaste et pure », observant Marguerite au loin. Marguerite apparaît plongée dans ses souvenirs (elle repense à sa mère et sa soeur décédées), et après avoir pris le bouquet, elle se saisit du coffret et se pare des bijoux : c’est le fameux Air des bijoux. Elle les montre à sa voisine Marthe et souhaiterait revoir
le jeune homme qui l’a abordée à la kermesse, maintenant qu’elle ressemble à une belle princesse. Méphistophélès détourne l’attention de la voisine en la courtisant et permet aux deux amoureux d’avoir un moment ensemble (duo « Il était temps ! Ô nuit d’amour… »).

Au quatrième acte, nous retrouvons Marguerite enceinte, seule, abandonnée par Faust dont elle attend désespérément le retour. Siebel lui promet son soutien et souhaite la venger, mais elle le remercie et s’en va pour prier à l’église. Méphistophélès lui parle et elle s’évanouit pendant le service. La guerre est terminée et Valentin apprend ce qui est arrivé à Marguerite. Il souhaite venger sa soeur et provoquer Faust en duel, qui s’était également rendu chez Marguerite pour
la revoir, accompagné d’un Méphistophélès plus ironique que jamais (« Vous qui faites l’endormie »). Valentin, qui avait ôté le médaillon donné par sa soeur, est victime d’un mauvais tour de Méphistophélès, et meurt pendant le duel en maudissant sa soeur. Dans le cinquième acte, Méphistophélès entraîne Faust
dans son royaume et tente de le distraire par tous les excès de chair et de gourmandise possibles (la nuit de Walpurgis, dont sont extraites les scènes de ballet aux nombreuses valses comme celle des Nubiennes). Faust ne songe qu’à retrouver Marguerite qui, ayant sombré dans la folie, a tué son enfant et a été emprisonnée. Si Faust propose à Marguerite de s’enfuir ensemble, celle-ci refuse en se mettant à prier et trouve sa rédemption dans la mort pour avoir résisté face à Méphistophélès. Elle est accompagnée d’un choeur d’anges : Faust se repent et prie également. Méphistophélès est vaincu.

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Qui est César Franck ?

Un concert d’Oya Kephale mi-décembre 2022. Et un certain César Franck né le 10 décembre 1822…

Notre troupe pouvait-elle manquer une telle occasion d’honorer celui qui fut à la fois belge et français, compositeur et professeur, pianiste et organiste, et qui a profondément marqué la période romantique française? C’est donc avec un grand plaisir que nous renouvelons cette année la formule du concert-hommage, déjà mise en œuvre en décembre 2021 avec Saint-Saëns. Nous espérons à travers cet hommage participer à faire connaître le grand musicien qu’était César Franck.

De Liège à Paris, une enfance prometteuse

Une éducation musicale rigoureuse en Belgique

Né à Liège en 1822, César Franck entame l’apprentissage de la musique sous l’impulsion d’un père exigeant et mélomane. Il fréquente le Conservatoire royal à partir de 1831 et révèle d’excellentes aptitudes pour le piano puis pour la composition. 

Une formation d’excellence à Paris

La famille Franck s’installe à Paris au milieu des années 1830. A cette époque, l’engouement pour la musique, les concerts et l’opéra sont en plein essor dans la capitale française. Le jeune César, qui n’a pas encore 13 ans, peut alors bénéficier de l’instruction de musiciens prestigieux, tel qu’Antoine Reicha. Cet épisode n’est pas sans rappeler la vie de Jacques Offenbach : le compositeur fétiche d’Oya Kephale fut en effet lui-même envoyé à Paris à l’âge de 14 ans pour y parfaire sa formation musicale.

Compositeur reconnu et organiste virtuose

Une composition innovante : le développement de la forme cyclique

Après plusieurs succès lors de concerts au piano, le génie de César Franck se révèle aussi dans la composition, tout particulièrement pour la musique de chambre.  Son talent est perçu dès son premier opus, les Trios concertants pour piano, violon et violoncelle (Op. 1), qui sont publiés avec le soutien de plusieurs musiciens, dont Liszt, Meyerbeer, Chopin ou encore Donizetti.

Dans cette œuvre, le style de Franck se distingue par la maîtrise de la « forme cyclique », procédé consistant en la reprise répétée d’un thème selon différentes formes tout au long d’un morceau. Cette technique est aussi particulièrement perceptible dans plusieurs autres  de ses compositions telles que Prélude, choral et fugue pour piano (1884).

 

Du piano à l’orgue

Mais César Franck se fait aussi remarquer par ses talents d’organiste. Après avoir été titulaire dans plusieurs églises parisiennes, il aborde une nouvelle période de sa vie en 1859, en rejoignant  la tribune de Sainte-Clotilde. Outre ses improvisations brillantes, il compose plusieurs œuvres qui font aujourd’hui figure de références dans le répertoire sacré : notons par exemple Prélude, fugue et variation (Opus 18), dans Six pièces pour grand orgue (1860-1863), les Sept paroles du Christ en Croix (1859), et la Messe à trois voix (1860), à laquelle  sera adjoint le célèbre motet Panis Angelicus (Op. 12, 1861). Mais sa pièce sacrée la plus fameuse reste à ce jour Les Béatitudes, oratorio composé entre 1869 et 1879.

 

La transmission d’un patrimoine musical “français”

La Société Nationale de Musique

L’année 1871 marque un tournant dans la vie de Franck :  la défaite française contre la Prusse provoque un élan patriotique dans la population, y compris parmi les musiciens. Un mouvement s’organise alors autour de Gabriel Fauré, Henri Duparc et César Franck, afin de renouveler la musique française face à l’essor de la musique allemande et de l’opéra.

César Franck consolide ce mouvement avec la création de la Société Nationale de Musique, qu’il cofonde aux côtés de Camille Saint-Saëns et Romain Bussine, un mois après la fin de la guerre. Le but de cette Société est d’encourager la création d’œuvres d’une nouvelle garde de musiciens français, et de les promouvoir lors de concerts réguliers. Franck devient l’un des maîtres de la musique française les plus reconnus – alors même qu’il n’est naturalisé qu’en 1873 ! La Société Nationale de Musique sera propice à la composition de grandes pièces de musique de chambre parmi ses plus fameuses (Quintette pour piano et cordes, Sonate pour violon et piano, le Quatuor à cordes), mais aussi de pièces symphoniques comme Le Chasseur maudit.

 

Franck professeur

Parallèlement à son engagement dans la Société Nationale de Musique, Franck transmet aussi ses savoirs par un autre biais : en 1872, il devient professeur d’orgue au Conservatoire de Paris. Il y forme de brillants élèves promis à un grand avenir, tels que Vincent d’Indy, Ernest Chausson, Henri Duparc ou encore Louis Vierne. La “bande à Franck” voit le jour. La plupart de ses membres seront aussi adhérents de la Société Nationale de Musique 

Le dévouement de Franck pour l’enseignement et la transmission se perpétue jusqu’à sa mort soudaine en 1890, des suites d’un accident de fiacre.

Le monument à César Franck, square Sainte-Clotilde
Cl. Braun, Clément et Cie, d’après le groupe d’Alfred Lenoir, 1920
Source gallica.bnf.fr / BnF

Les grandes dates de la vie de César Franck

  • 1822 : naissance à Liège, 8 ans avant l’indépendance de la Belgique
  • 1835 : installation à Paris, enseignement d’Antoine Reicha au Conservatoire
  • 1859 : organiste titulaire de l’église Sainte-Clotilde à Paris
  • 1872 : professeur d’orgue au Conservatoire de Paris
  • 1873 : obtention de la nationalité française
  • 1885 : remise de la Légion d’Honneur
  • 1886 : président de la Société Nationale de Musique (SNM)
  • 1890 : décès à Paris

 

Sources

 

 

Rédaction de l'article

Qui est Gounod ?

Charles Gounod (1818-1893) est principalement connu pour son opéra Faust et pour un Ave Maria composé sur le prélude du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach. S’il est vrai que l’éclat de ces succès fait aujourd’hui un peu d’ombre au restant de son œuvre, rappelons qu’en son temps, le compositeur comptait parmi les plus respectés et les plus prolifiques de sa génération. Il a laissé à la postérité pas moins de douze opéras et vingt-et-une messes.

 

Une enfance musicale

Les parents de Charles Gounod vivent tous les deux dans le milieu artistique parisien. Son père travaille comme peintre et graveur au service de la royauté, comme son père et son grand-père avant lui. Sa mère joue du piano et a un don pour les arts plastiques.

On ne tarde pas à s’apercevoir que l’enfant est doué également pour la musique et pour le dessin1. À la mort de son père, Gounod n’a que cinq ans. Mme Gounod, pour subvenir aux besoins de la famille, ouvre une classe de piano.

Sur les conseils de sa mère, le jeune musicien entreprend l’étude de l’harmonie et du contrepoint en suivant les cours particuliers d’Antoine Reicha2. Il développe en parallèle une belle voix de ténor et acquiert de l’habileté dans la maîtrise du clavier.

À la mort de Reicha, Gounod rejoint la classe de fugue et de contrepoint de Fromental Halévy, au conservatoire de Paris, et la classe de composition tenue successivement par Henri Berton, Le Sueur et Ferdinando Paër. Le compositeur qu’il admire le plus, à l’instar de Le Sueur, est Gluck, le compositeur d’opéra du XVIIIe siècle.

Académie de France à Rome

Gounod se présente au prix de Rome à dix-neuf ans, mais n’obtient que la seconde place. Ce n’est que deux ans plus tard, en 1839, qu’il remporte le Grand Prix, avec la cantate Fernand. En janvier 1840, il rejoint la Villa Médicis, en plein cœur de Rome, lieu de résidence des élèves de l’Académie de France3. Il y restera deux ans et fera la connaissance du peintre Dominique Ingres.

La ville aux sept collines constitue un cadre idéal pour les jeunes étudiants sensibles aux Beaux-Arts.

La Villa Médicis, lieu de résidence des élèves de l’Académie de France à Rome

Lors d’un concert à la Chapelle Sixtine, le compositeur est vivement ému par la musique de Palestrina (Nigra Sum sed formosa). Selon lui, une telle science du contrepoint ne peut trouver sa source que dans la foi pure.

“La musique palestrinienne semble être une traduction chantée du vaste poème de Michel-Ange, et j’inclinerais à croire que les deux maîtres s’éclairent, pour l’intelligence, d’une lumière mutuelle”

 

Charles Gounod a de la religion. Le père dominicain Lacordaire, alors retiré à Rome, exerce sur lui une telle influence que sa mère envisage pour lui la voie ecclésiastique.

À Rome, Charles Gounod découvre la poésie de Lamartine et approfondit sa lecture de l’incontournable Faust de Goethe. La pièce emblématique du Romantisme devient son livre de chevet.

C’est lors de son expérience romaine que Gounod jette les bases de son esthétique. Il se dit tiraillé entre des idéaux de beauté, de vérité et de chrétienté d’une part, et d’autre part la tentation de l’égoïsme et de l’artifice.

Comme la plupart des lauréats du Prix de Rome, Gounod passe sa troisième année en Autriche et en Allemagne. La visite de Vienne, ville de Mozart et Beethoven, lui procure une grande émotion. Il confesse à Ingres “je ne sais quelle impérieuse influence l’idée de Beethoven a toujours eu sur moi.” Son voyage germanique se poursuit jusqu’à Leipzig, où il rend visite à Mendelssohn. Le jeune compositeur joue pour lui l’Écossaise, dans une exécution privée de l’orchestre du Gewandhaus.

L’influence de Mendelssohn est sensible notamment dans le scherzo de sa Petite symphonie pour vents.

 

Le retour à Paris

En 1843, Charles Gounod revient à Paris, où il obtient par l’intermédiaire de sa mère le poste de maître de chapelle à l’église du Séminaire des Missions étrangères. Ce lieu constitue un laboratoire pour ses pièces chorales sacrées.

Pendant un temps, il souhaite devenir prêtre : il entrera au séminaire de Saint-Sulpice en 1847, pour finalement le quitter au bout d’un an. Cependant, il témoignera tout au long de sa vie d’une foi inquiète et renouvelée.

Dans les années 1850, il rejoint le cercle de la mezzo-soprano Pauline Viardot. Celle-ci obtient que l’on confie à Gounod l’écriture d’un premier opéra, Sapho. La pièce, créée dans la salle Le Peletier, ne rencontre pas un grand succès.

Le chemin vers la renommée

Invité par Pierre-Joseph Zimmermann4 a jouer pour l’un de ses salons, si caractéristiques du XIXe siècle, Gounod improvise une mélodie en surimpression du prélude du Clavier Bien Tempéré de Bach. Il est vraisemblable que Zimmermann ait eu l’idée de faire le relevé de cette mélodie et, en 1859, d’y ajouter les paroles latines de la prière à Marie – ce sera le fameux Ave Maria de Gounod.

Gounod épouse Anna Zimmermann en 1852, et obtient la direction de l’Orphéon de Paris. Ce réseau de sociétés chorales, dont les membres sont issus des classes laborieuses et de la petite bourgeoisie, constitue un instrument de la politique égalitaire du second Empire.

Gounod occupe le poste pendant huit ans et compose pour l’Orphéon plusieurs chants patriotiques.

En 1856 et 1857, il entreprend l’écriture de son opéra Faust. Au moment où il y met la dernière main, on joue encore au théâtre de la Porte Saint Martin le Faust et Marguerite de Carré. Léon Carvalho, directeur du tout récent Théâtre-Lyrique, juge trop périlleux de produire simultanément deux Faust rivaux. Gounod et lui décident de travailler plutôt sur Le médecin malgré lui. Ce sera seulement en 1858 que Carvalho acceptera de produire Faust et que Gounod terminera son opéra.

La Nuit de Walpurgis, lors de la création de Faust au Théâtre-Lyrique
Dessin de Cambon et Thiery

Carvalho inaugure la nouvelle salle du Théâtre-Lyrique (place du Châtelet, aujourd’hui Théâtre de la Ville) avec Faust en 1862. C’est un succès.

En 1867, outre-Rhin, Wagner qualifie le Faust de Gounod de “faible pastiche français d’un monument littéraire allemand”. Le sentiment de Gounod à son égard, plutôt positif jusque-là, est naturellement refroidi par ce jugement lapidaire.

En 1868, l’opéra de Paris demande à Gounod de composer un ballet pour son Faust. Réticent, le compositeur exprime au directeur la “fatigue mentale” que lui procure cette adjonction.

Encouragé par le succès de ses opéras Faust et Le médecin malgré lui, il compose cinq autres opéras dans les huit années qui suivent, tous avec les librettistes Barbier et Carré.

Parmi les plus connus, citons La reine de Saba (1862), Mireille (1864) et Roméo et Juliette (1867).

3 ans en Angleterre

En septembre 70, la guerre est aux portes de Paris. Le moral au plus bas, Charles Gounod quitte la France et trouve refuge en Angleterre avec sa famille.

L’Énigme, de Gustave Doré, 1871, issu du triptyque Souvenirs de 1870

Lettre à Edouard Dubuffet 8 novembre 1870

Voilà le résultat actuel du Progrès humain. Si c’est aux fruits qu’on juge l’arbre, et si, comme cela est incontestable, la valeur des causes doit se mesurer à celle des effets, il faut reconnaître que, pour en arriver où nous sommes, la sagesse humaine a dû faire bien fausse route.

Il compose en 1871 une pièce nommée Gallia, portant le sous-titre motet-lamentation. Cette œuvre décrit la désolation de Jérusalem après la conquête de la cité par Nabuchodonosor :

“L’idée m’est venue de représenter la France telle qu’elle était… outragée, violée par l’insolence et la brutalité de son ennemi”. – pour mieux exhorter ensuite ses habitants à la conversion : “Jérusalem, reviens vers le Seigneur ton Dieu”.

L’œuvre est créée le 1er mai 1871 au Royal Albert Hall et remporte un beau succès.

Gounod propose à la soprano Georgina Weldon, qu’il a rencontrée en février, de tenir la partie soliste de Gallia pour la création française. L’œuvre est programmée à l’Opéra Comique, à Notre-Dame et au Conservatoire de Paris.

En novembre, ils retournent à Londres et Mrs. Weldon invite Gounod à s’installer chez elle et son époux, à Tavistock House. Elle a pour souhait de bâtir un orphelinat aménagé pour la musique, et endosse le rôle d’impresario de Gounod.

En France, la presse critique sévèrement l’exil du compositeur, et l’hospitalité de Georgina Weldon suscite toutes sortes de rumeurs. Gounod comme Mrs. Weldon seront victimes de charges violentes, dénoncées des deux côtés comme d’affreuses calomnies.

La période anglaise est prolifique : Gounod compose des pièces pour une société chorale fondée par Mrs. Weldon, une musique de scène pour le Jeanne d’Arc de Barbier, des chansons anglaises, d’autres italiennes, des esquisses pour un Opéra Comique autour de George Dandin, la Messe brève pour les morts et la Missa angeli custodes… Il poursuit également l’écriture d’un opéra dont les germes ont été semés lors d’un voyage à Rome en 1868 : Polyeucte, en mémoire du martyr chrétien du IIIe siècle.

Retour en France

A son retour à Paris, il rencontre des difficultés à récupérer le manuscrit de Polyeucte. Mrs. Weldon retient les documents et tient à s’occuper de la vente de l’opéra. L’affaire est portée devant la justice anglaise, qui donne raison à Mrs. Weldon.

Gounod entreprend malgré tout de réécrire l’opéra de mémoire. Il l’a presque terminé quand il reçoit finalement la musique originale en septembre 1875 : Mrs. Weldon la lui transmet par l’intermédiaire de son ami Oscar Comettant.

Dans la dernière partie de sa vie, Gounod compose beaucoup de musique religieuse, notamment un grand nombre de messes et deux oratorios : La Rédemption (1882) et Mors et vita (1885).

Gounod s’éteint le 18 octobre 1893, ce sera la dernière modulation qui se résout sur la tonique du concert éternel 5.

Il bénéficie de funérailles nationales en l’église de la Madeleine, avec du plain-chant pour toute musique, selon ses volontés.

Les grandes dates de la vie de Charles Gounod

  • 1818 : naissance à Paris
  • 1839 : Grand Prix de Rome avec la cantate Fernand
  • 1840-1843 : Pensionnaire de l’Académie de France à la Villa Médicis
  • 1842 : voyage en Allemagne et Autriche
  • 1843 : maître de chapelle aux Missions étrangères de Paris
  • 1850 : rencontre la mezzo-soprano Pauline Viardot
  • 1851 : création de son opéra Sapho à la salle Le Peletier
  • 1852 : mariage avec Anna Zimmermann
  • 1852-1860 : préside l’Orphéon de la Ville de Paris
  • 1859 : première de Faust au Théâtre Lyrique
  • 1859 : création de l’Ave Maria avec la collaboration de Pierre-Joseph Zimmermann
  • 1859-1867 : compositions de 5 opéras, dont Mireille (1864) et Roméo et Juliette (1867)
  • 1870-1873 : exil en Angleterre. Rencontre de Georgina Weldon. Composition de Gallia (1871)
  • 1893 : mort à Saint-Cloud

 

1 Ingres, qui fait la connaissance de Gounod à la Villa Médicis, considère que ce dernier aurait pu concourir pour le prix de Rome, également dans le domaine des Beaux-Arts.

2 Antoine Reicha est également professeur au conservatoire de Paris, où il enseigne notamment à César Franck.

3 Dans la catégorie de la composition musicale, le prix de Rome offre à ses lauréats deux années d’études à Rome et une troisième, soit en Allemagne, soit en France. Mis en place par Colbert, le prix de Rome a disparu suite aux événements de mai 68.

4 Compositeur, professeur de piano au conservatoire de Paris et futur beau-père de Gounod

5 Lettre du 13 avril 1867 à la Duchesse de Colonna

 

Sources

  • Richard Wagner, Deutsche Kunst und deutsche Politik, 1867
  • Georgina Weldon, Mon orphelinat et Gounod en Angleterre, 1875
  • Charles Gounod, Mémoires d’un artiste, Calmann Lévy, 1896
  • Richard Boursy, The Mystique of the Sistine Chapel Choir in the Romantic Era, University of California Press, 1993
  • Steven Huebner, Gounod, Grove, 2001
  • Julie Anne Sadie, Georgina Weldon, Grove, 2001
  • Gérard Condé, Charles Gounod, biographie et catalogue complet, Fayard, 2009

 

 

Rédaction de l'article

L’histoire des Sept paroles du Christ en Croix de César Franck

Avec le Panis Angelicus, l’oratorio Les Sept paroles du Christ en Croix est sans doute l’œuvre sacrée de César Franck la plus jouée de nos jours. Le succès contemporain de cette œuvre en ferait presque oublier qu’elle ne fut sans doute jamais jouée du vivant de son compositeur. Écrite en 1859, la partition autographe est redécouverte près d’un siècle plus tard, mais sans titre apparent. L’intitulé des Sept paroles est donc apocryphe, mais vraisemblable, Franck ayant pris soin de titrer le premier morceau “Prologue”, puis de mentionner le numéro de chacune des paroles pour les sept morceaux suivants. La création mondiale des Sept Paroles a eu lieu en 1977 en Allemagne, sous la direction d’Armin Landgraf, qui a contribué à la redécouverte de la musique sacrée de Franck.

Les années de Franck au service de l’Eglise

Le développement du registre sacré

L’année de la composition des Sept paroles du Christ en croix correspond au milieu de la vie de Franck (1822-1890). A cette période, il est nommé successivement organiste titulaire dans plusieurs églises parisiennes : Notre-Dame de Lorette, Saint-Jean-Saint-François du Marais, puis Sainte-Clotilde, qu’il ne quittera pas jusqu’à sa mort.

Ce poste est propice à l’enrichissement de son répertoire sacré, jusqu’alors très peu exploré. Notons tout de même son oratorio Ruth, écrit en 1846, sous la pression de son père.

César Franck à l’orgue de l’église Sainte-Clotilde, 1885
Photo de Jeanne Rongier (1852-1934)

Le choix des Sept paroles : La Passion de César Franck ?

En 1859, Franck n’est en fait pas encore organiste titulaire de Sainte-Clotilde, mais maître de chapelle. A ce titre, il est chargé de composer plusieurs cantiques pour le chœur de cette paroisse dont il assure également la direction.

Les Sept paroles font donc partie d’un ensemble de pièces composées pour les offices de Sainte-Clotilde, très vraisemblablement ceux de la Semaine sainte. Il s’agit d’une période importante de la foi catholique, au terme du Carême et précédant la fête de Pâques, où la Passion du Christ est commémorée.

Mais pourquoi s’être efforcé à écrire un oratorio, et non une pièce plus simple et plus courte, pour le sujet de la Crucifixion ? Le XIXe siècle est une période d’expansion progressive pour le catholicisme français, après les séquelles de la Révolution. Les sujets de dévotion se multiplient, comme le culte marial qui se répand à la faveur des apparitions de la Vierge. La figure humaine et divine du Christ est également propice à la vénération des fidèles : les adorations eucharistiques et les chemins de croix sont introduits dans les paroisses, de nouveaux édifices sont dédiés au Sacré-Cœur de Jésus, et le “dolorisme” connaît un renouveau dans la piété populaire et dans les arts. Le courant doloriste de cette époque invite les croyants à faire mémoire des souffrances vécues par le Christ lors de sa Passion, dans la perspective de la rédemption de l’Humanité et du rachat de ses péchés.

Franck, chrétien fervent et musicien d’église, ne peut rester étranger à ces influences religieuses. Mais pourquoi ne pas alors proposer une mise en musique du récit de la Passion ?

Rappelons qu’à l’époque, les règles liturgiques du catholicisme français imposent que ce récit puisse seulement être interprété selon le plain-chant (a cappella et sans polyphonie). Ce n’était pas le cas de la liturgie protestante, ce qui permit à Bach de produire ses plus fameux oratorios (La Passion selon Saint Jean, 1723 et La Passion selon Saint Matthieu, 1729) pour l’église luthérienne de Leipzig. Mais en choisissant le texte des Sept paroles, Franck contourne ces règles et “écrit sa Passion”, pour ainsi dire, comme le souligne son biographe Joël-Marie Fauquet [cité infra]. La 6ème parole (“Tout est accompli”) composée par Franck contient d’ailleurs un passage authentifié comme une variation du choral Jesu Leiden, Pein und Tod, employé par Bach dans La Passion selon Saint Jean, lorsque le chœur accompagne la basse chantant cette même parole (“Es ist vollbracht”).

Début du choral « Jesu, Leiden, Pein und Tod », Hymne de Paul Stockmann, repris par Bach dans La Passion selon Saint Jean, 1723

Extraits de la 6e Parole “Consumatum est” – piano-chant des Sept paroles du Christ en Croix, de César Franck

Mettre en musique les Sept paroles

Un sujet rarement mis en musique à l’époque de César Franck

La mise en musique des Sept paroles est encore très rare au XIXe siècle, et plus encore en France. ll faut dire que la structure de ce texte est relativement récente par rapport à d’autres extraits bibliques mis en musique.

En effet, si les paroles prononcées par le Christ lors de sa crucifixion sont bien toutes tirées de la Bible, elles ne sont pas contenues dans un seul récit de la Passion, mais issues des quatre évangiles.

C’est à partir du VIe siècle que ces paroles ont été rassemblées dans un certain ordre, notamment dans L’Harmonie évangélique traduite par l’évêque Victor de Capoue.

Mais il faut attendre le XIIIe siècle pour que les Sept paroles deviennent un texte de dévotion à proprement parler, sous l’influence de  Saint Bonaventure et de son opuscule La Vigne mystique, daté de 1263. Le fait que ces paroles, une fois rassemblées, soient au nombre de sept a également une portée spirituelle. En effet, abondamment repris dans la Bible, le chiffre sept symbolise dans la tradition judéo-chrétienne la complétude, le parachèvement et la perfection. La méditation de ce texte permet aussi au croyant d’affermir sa foi autour de ces sept paroles christiques en opposition aux sept péchés capitaux.

Les Sieben Worte Jesu Christi am Kreuz, de Schütz, écrites en 1646, constituent sans doute la première mise en musique des Sept paroles. En 1787, Haydn propose également une autre version en allemand, sans doute la plus célèbre de nos jours, sous le titre Les Sept dernières paroles de Notre Sauveur sur la Croix. En France, Charles Gounod est le premier à en effectuer une mise en musique (Les Sept Paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la Croix, 1855), en retenant la version latine du texte.

Franck reprend le texte en latin de ces sept paroles, tout en ajoutant d’autres versets issus de l’Ancien et du Nouveau testament ainsi que de la prière Stabat Mater.

Une pièce destinée à la liturgie, finalement jouée en concert

Les exigences de la musique d’église et l’influence de Palestrina

La composition des Sept paroles s’inscrit dans une période animée par une vive controverse  concernant la manière d’exprimer le sentiment religieux en musique. Le XIXe siècle est marqué par les innovations instrumentales, les nouvelles techniques de composition, l’essor de l’opéra et le développement de l’orchestration. Des compositeurs comme Berlioz peuvent alors employer une multitude d’effets pour donner les accents dramatiques nécessaires au sujet de leur œuvre.

Franck, Gounod, et Saint-Saëns sont aussi gagnés par ces influences, y compris dans leur musique sacrée, malgré les réticences de plusieurs critiques musicaux et membres du clergé. Ce dernier, redoutant que les offices ne se transforment en spectacle, marque sa préférence pour une musique épurée et neutre, dans le but de préserver la solennité de la liturgie. C’est ainsi que l’orchestration doit se limiter à quelques instruments – l’orgue bien sûr, mais aussi les instruments associés aux anges comme la harpe et les trompettes. De même, le tempo doit être mesuré. Pour seule source d’inspiration, les musiciens d’église sont invités à retourner aux canons de la Renaissance, et plus spécifiquement à la musique de Palestrina, jugée la plus à même de favoriser le recueillement. Cette musique se caractérise en effet par la reprise de lignes mélodiques grégoriennes, par l’alliance du plain-chant avec la polyphonie, et par une relative sobriété dans le rythme et dans la variation des nuances.

A première vue, les Sept paroles semblent bien respecter les exigences d’une écriture simple, mêlée  des influences néo-palestriniennes. Le tempo est globalement lent, l’écriture homorythmique quasi-omniprésente favorise la compréhension du texte, et le style relativement impersonnel de la partition fait même s’interroger le biographe de Franck : s’il “n’avait pas signé son manuscrit, pourrait-on assurer que cet oratorio est de lui ?” [Joël-Marie Fauquet, cité infra].

Cependant, Franck s’affranchit de ces règles de composition dans une bonne partie de son manuscrit, comme le fait aussi Saint-Saëns quelques années plus tard dans son Requiem.

Une tentative de dramatisation de la crucifixion et de la rédemption ?

Franck laisse en effet dans ses Sept paroles plusieurs marqueurs de personnalisation dans la mise en musique du sentiment religieux : une instrumentation inhabituellement soignée, un travail complexe dans la répartition des textes chantés par les différents solistes et le chœur, l’insertion de passages forte et rapides et l’emploi de modes expressifs. Autant d’effets qui font prendre à cette pièce une tournure dramatique, et qui la distinguent parmi ses autres pièces sacrées.

Le début de la première Parole (“Père, pardonne-leur”) est ainsi chanté piano et a cappella par un chœur qui porte la voix d’un Christ agonisant et implorant le pardon pour ses persécuteurs. L’ambiance de recueillement ainsi instaurée est soudainement interrompue par un enchaînement répété et vif du verset “Cum sceleratis reputates est”, chanté fortissimo, avec tout l’orchestre en accompagnement. Ceci sans doute pour figurer le sentiment d’injustice et de révolte que peut provoquer la contemplation de Jésus en croix, mis à mort comme un malfaiteur. L’autre mouvement rapide de l’œuvre se trouve au milieu de la cinquième Parole, où le chœur incarne les soldats romains insensibles aux souffrances du Christ, lui criant dans un unisson presque constant, “Si tu es le Roi des juifs, sauve-toi toi-même”.

On pourrait croire que le choix d’avoir confié les paroles du Christ tour à tour à différents interprètes est une façon d’esquiver la théâtralisation (celle-ci est notable dans les Passions de Bach, où le soliste basse incarne le Christ du début jusqu’à la fin de l’oratorio).

Et pourtant… on peut paradoxalement  y voir un nouvel  effet dramatique, avec ce jeu de contraste entre les paroles chantées par la basse et celles énoncées par le ténor. Dans la cinquième parole (« J’ai soif ! »), la basse incarne ainsi un Christ souffrant, qui exprime son désarroi par un cri long et sonore (« Sitio ! »), dans un mode mineur, précédé d’un solo de violoncelle aux accents tragiques et éplorés ; et à l’inverse, Franck confie au ténor la toute dernière parole, « Père, en tes mains je remets mon esprit », sur un mode majeur et dans un registre aigu allant jusqu’au contre-ut, peignant ainsi une ambiance apaisée, lumineuse et pleine d’espérance. Le chœur reprend cette parole pour terminer dans un piano morendo, figurant tout à la fois le passage de la mort… et l’entrée au Ciel.

Tous ces éléments de composition permettent, après avoir rappelé les souffrances de la Passion, d’ouvrir une fenêtre sur l’Espérance chrétienne dans la Résurrection et dans la rédemption de l’Humanité.

Un autre paradoxe doit être souligné : prévue pour la liturgie, cette pièce n’a sans doute jamais été jouée dans cette visée, alors qu’elle l’est régulièrement à l’occasion de concerts. Cela tend à démontrer que Les Sept paroles tiennent une place toute particulière dans la musique sacrée de Franck, si ce n’est dans toute son œuvre.

Ce succès contemporain amène à se demander pourquoi Les Sept paroles ne furent jamais exécutées lors du vivant de Franck.

On pourrait avancer un début d’explication en considérant la particularité de cette œuvre difficilement classable, dont la composition est marquée par une double influence. Peut-être était-elle à la fois trop sophistiquée et considérée comme trop théâtrale pour être jouée lors des offices, et en même temps, trop imprégnées du style religieux de l’époque pour être jouée ailleurs que dans une église ?

Le texte et sa traduction

Prologue
O vos omnes qui transitis per viam,
attendite et videte si est dolor sicut dolor meus.
Posuit me, domine, desolatam tota die maerore confectam.
Ne vocatis me Noemi, sed vocate me Mara.
Ô vous tous qui passez sur  le chemin,
regardez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur.
Le Seigneur m’a rendue désolée, dévorée d’amertume tout le jour. (Lamentations Jérémie, 1, 12-13)
Ne m’appelez pas (la gracieuse), mais appelez-moi Mara (l’amère). (Ruth, 1, 20)
1ère Parole
“Pater, dimitte illis : non enim sciunt quid faciunt.”

Crucifixerunt Jesum et latrones, unum a dextris et alterum a sinistris.
Jesum autem dicebat :
Pater, dimitte illis, non enim sciunt quid faciunt.
Cum sceleratis reputatus est, et ipse peccata multorum tulit, et pro transgressoribus rogavit.

« Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc, 23,34)
Ils crucifièrent Jésus ainsi que les larrons, l’un à droite, l’autre à gauche.
Jésus, lui, disait … (Luc, 23, 33)
Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.
Il a été compté parmi les scélérats, alors qu’il supportait les fautes des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs. (Isaïe 53, 12)
2ème Parole
“Amen, dico tibi : hodie mecum eris in paradiso.”

“Domine, memento mei, cum veneris in regnum tuum.”

« En vérité, je te le dis, dès aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis. » (Luc, 23, 43)
« Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume. » (Luc, 23, 42)
3ème Parole
“Mulier, ecce filius tuus.”
O quam tristis et afflicta
fuit illa benedicta, mater unigeniti !
Quis est homo qui non fleret, Christi matrem si videret in tanto supplicio ?
Quis posset non contristari piam matrem contemplari dolentem cum filio ?
« Femme, voici ton fils. » (Jean, 19, 26)
Oh ! qu’elle était triste et affligée,
cette mère bénie d’un fils unique !
Quel est l’homme qui ne pleurerait, s’il voyait la mère du Christ endurant un tel supplice ?
Qui pourrait ne pas être contristé en contemplant cette douce Mère souffrant avec son fils ? (extrait du Stabat Mater)
4ème Parole
“Deus meus, ut quid dereliquisti me ?”

Noti mei quasi alieni recesserunt a me, et qui me noverant obliti sunt mei.

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc, 15,34)
Mes proches se sont éloignés de moi comme des étrangers, ceux qui me connaissaient m’ont oublié. (Job, 19, 14)
5ème Parole
“Sitio !”
Dederunt ei vinum bibere cum felle mixtum.
Et milites acetum offerentes ei, blasphemabant dicentes :“Si tu es Rex Judaeorum, salvum te fac.”Popule meus, quid feci tibi ? Aut in quo contristavi te ? Responde mihi !
Quia eduxi te de terra Aegypti, parasti crucem Salvatori tuo
“J’ai soif ! » (Jean, 19,28)
Ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel.
Les soldats en lui présentant le vinaigre, se gaussaient de lui, disant :
« Si tu es le Roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » (Matthieu, 27, 34 ; Luc, 23, 36-37)
Ô mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi !
Je t’ai conduit hors d’Égypte, et pour cela, tu prépares la croix à ton Sauveur ! (extrait des Impropères)
6ème Parole
“Consummatum est.”
Peccata nostra ipse tulit in corpore suo super lignum, ut peccatis mortui, justiciae vivamus.Vere, languores nostros ipse tulit,
et livore ejus sanati sumus.
« Tout est accompli ! » (Jean, 19, 30)
C’étaient nos péchés qu’il portait, dans son corps sur le bois, afin que, morts à nos fautes, nous vivions pour la justice. (Pierre, 2, 24)
En vérité, c’était nos souffrances qu’il supportait,
et c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris. (Isaïe, 53, 4-5)
7ème Parole
“Pater, in manus tuas commendo spiritum meum.”

Pater meus es tu, Deus meus, susceptor salutis meae

« Père, je remets mon esprit entre tes mains. » (Luc, 23, 46)
Tu es mon père, mon Dieu et le rocher de mon salut. (Psaume, 89, 27)

 

 

Sources

 

La messe des Anges Gardiens de Gounod

La messe des Anges Gardiens (aussi connue sous son nom latin Missa angeli custodes) a été composée en 1871 par Charles Gounod lors de son séjour en Angleterre. Le compositeur y développe une musique d’une savante simplicité.

Gounod en Angleterre

En septembre 1870, Charles Gounod se réfugie à Londres avec sa famille pour fuir la guerre contre la Prusse. Il sera profondément touché par cet affrontement : sa propre maison sera détruite lors de l’incendie de Saint-Cloud par l’armée prussienne1.

Dans une lettre datant du 8 novembre 1870, il confie à son ami Dubuffet sa défiance envers le progrès qui est, selon lui, responsable de la guerre. Il y ajoute toutefois quelques mots exprimant son espérance :

Si tant de malheurs ont pu nous instruire et nous ramener à la simplicité du vrai, et au vrai de la simplicité, tout ne sera pas perdu, et quelque chose de précieux et de salutaire y aura été gagné, car tout se tient ici-bas, les conséquences du faux comme celles de la vérité.

Dans cet état d’esprit, Gounod cherche à simplifier son langage musical, à contre-courant des mouvements musicaux de l’époque (Debussy, Wagner, ou le post Romantisme).

L’hospitalité des Weldon

Gounod fait la connaissance de la soprano Georgina Weldon en février 1871. La guerre étant terminée – l’armistice a été signé le 29 janvier – il lui propose de l’accompagner en France et de tenir la partie soliste pour la création française de Gallia2.

Suite à ces concerts, les Gounod sont invités à s’installer à Tavistock-House chez les Weldon. Reconnaissant, le compositeur appelle ces derniers « [ses] anges gardiens » ; ainsi Mrs. Weldon, qui s’est attachée à la réussite de Gounod et a pris en main ses affaires, peut voir dans le titre de la messe une dédicace directe à son endroit. Cela n’est cependant pas attesté : l’œuvre est déjà dédiée à l’archevêque de Westminster, Mgr Manning. Par ailleurs, Gounod l’a peut-être simplement composée pour la fête des Saints anges gardiens, célébrée le 2 octobre.

Charles Gounod gardera un souvenir mitigé de son exil londonien. La presse française voit d’un mauvais œil son exil volontaire outre-Manche, et la mainmise de Mrs. Weldon sur ses affaires, peut-être bienvenue au départ, lui pèse de plus en plus.

Ainsi, à son retour à Paris, Gounod souhaite récupérer le manuscrit de Polyeucte, qu’il a laissé à Tavistock-House ; mais Georgina Weldon refuse de le lui envoyer, car elle souhaite continuer d’être son impresario. L’affaire se termine au tribunal, et la justice anglaise donne tort à Gounod.

L’influence romaine

A l’instar de nombreux compositeurs romantiques, Gounod est fasciné par la musique donnée à la Chapelle Sixtine, et notamment par celle de Palestrina. Il a eu l’occasion de l’entendre lors de son séjour à Rome, alors qu’il n’avait que 22 ans. Cette expérience quasi mystique a profondément marqué sa personnalité.

J’allais donc le plus possible à la chapelle Sixtine. Cette musique sévère, ascétique, horizontale et calme comme la ligne de l’Océan, monotone à force de sérénité, antisensuelle, et néanmoins d’une intensité de contemplation qui va parfois à l’extase, me produisit d’abord un effet étrange, presque désagréable. Était-ce le style même de ces compositions, entièrement nouveau pour moi, était-ce la sonorité particulière de ces voix spéciales que mon oreille entendait pour la première fois, ou bien cette attaque ferme jusqu’à la rudesse, ce martèlement si saillant qui donne un tel relief à l’exécution en soulignant les diverses entrées des voix dans ces combinaisons d’une trame si pleine et si serrée, je ne saurais le dire. Toujours est-il que cette impression, pour bizarre qu’elle fût, ne me rebuta point. J’y revins encore, puis encore, et je finis par ne pouvoir plus m’en passer3.

La messe proprement dite

La missa angelis custodes, composée en 1873 dans le style religieux le plus pur, est une messe brève4 pour chœur mixte, solistes et accompagnement d’orgue. Les voix y sont traitées et limitées selon l’échelle naturelle des registres, et la partie d’orgue accompagne doucement les voix.

Charles Gounod porte un regard circonspect sur la complexification de la syntaxe musicale, ainsi que sur les compositeurs qui y voient un signe de progrès. Pour lui, le progrès véritable se situe dans la reconnaissance du « vrai de la simplicité ».

Ainsi, Gounod utilise-t-il pour sa messe une harmonie simple et inspirée de Mozart, avec çà et là des colorations romantiques5. De grands passages sont en homorythmie (tous les pupitres chantent les mêmes paroles sur le même rythme) pour faciliter la compréhension du texte.

La messe est créée le 3 mai 1873 par le Gounod’s Choir. Par la suite, le compositeur proposera une orchestration qui sera donnée le 21 février 1874, avec le même chœur, à Saint James’s Hall. Il faudra attendre mars 1875 pour la création française à Notre-Dame de Paris, sans doute dans une orchestration nouvelle pour cordes seules.

Les partitions d’orchestre de ces deux versions ont aujourd’hui disparu.

Postérité

De nos jours, l’œuvre est peu donnée : si l’on trouve certains enregistrements sur la toile, ils sont partiels, et émanent de chœurs amateurs ; un enregistrement in extenso demeure absent des plateformes de lecture en continu, et il est impossible d’en trouver une version CD.

Le mouvement O Salutaris est quelquefois isolé pour être chanté lors de l’Offertoire ou pendant le salut du Saint-Sacrement.

1 Cet incendie fait suite à la bataille de Buzenval le 19 janvier 1871 – Retour vers la suite du texte

2 Cette pièce décrit la désolation de Jérusalem et l’impiété de ses habitants lors de son massacre par Nabuchodonosor, faisant écho au siège de Paris. Elle a rencontré un beau succès le 1er mai 1871 au Royal Albert Hall. – Retour vers la suite du texte

3 Extrait de Charles Gounod, Mémoires d’un artisteRetour vers la suite du texte

4 Une messe brève est une pièce qui reprend l’Ordinaire de la messe, mais de façon abrégée. – Retour vers la suite du texte

5 Gounod parsème sa partition de dominantes secondaires, faisant écho à la poésie de Schumann. – Retour vers la suite du texte

 

Sources

  • Georgina Weldon, Mon orphelinat et Gounod en Angleterre, 1875
  • Charles Gounod, Mémoires d’un artiste, Calmann Lévy, 1896
  • Richard Boursy, The Mystique of the Sistine Chapel Choir in the Romantic Era, University of California Press, 1993
  • Steven Huebner, Gounod, Grove, 2001
  • Gérard Condé, Charles Gounod, biographie et catalogue complet, Fayard, 2009.

 

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