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Lexique : mieux comprendre les opérettes d’Offenbach

« – Offenbach, c’est vieux.  C’est de l’opéra en plus, on va rien comprendre ! Le vocabulaire n’est jamais clair !

-C’est vrai, mais pour y voir plus clair, quelques mots inhabituels traduits par nos soins dans un langage plus contemporain » : Voici un petit lexique – non exhaustif mais tout de même utile – des mots inhabituels que l’on peut trouver dans les opérettes d’Offenbach.

Le champ lexical de la guerre

Fifre : désigne d’abord une petite flûte traversière en bois utilisée pour la musique militaire. Son son est très aigu. Par métonymie, désigne la personne qui en joue.

Vivandière : Au féminin, parce qu’à l’époque c’est un métier de femmes, les hommes étant à la guerre. Cela désigne une personne autorisée à suivre l’armée pour vendre aux troupes des vivres et des boissons.

Le champ lexical de l’amour

Particulier: dans Madame Favart lorsque le sergent Larose cherche son « particulier », il cherche une personne privée par opposition à la collectivité (l’Etat) qu’il représente. En revanche dans Orphée aux enfers, la « particulière » que le dieu Mars est allée voir est une amante. C’est un usage vieilli.

Tendron : de « tendre », désigne une très jeune fille, dont la jeunesse a séduit un homme d’âge mûr. En botanique, cela désigne aussi le nouveau bourgeon d’un arbre, pour vous donner une idée de l’âge d’un « tendron ».

Le champ lexical de la beuverie

Être gris : être légèrement ivre .

Se griser: s’enivrer, boire, et de l’alcool, pas de l’eau. Par extension, comme pour le verbe s’enivrer, cela signifie s’exciter, s’étourdir.

Les références à la mythologie grecque et romaine

Les lieux

 

Arcadie : région montagneuse de Grèce qui descend vers la mer Égée. En littérature et dans les légendes, c’est la patrie du dieu Pan, lieu idyllique peuplé de bergers paisibles, symbole de l’âge d’or.

Cythère : petite île de Grèce, comportant un temple à Vénus (Aphrodite) la déesse de l’amour. L’expression “s’embarquer pour Cythère” signifie avoir un rendez-vous galant.

Enfers: Au pluriel, désigne le royaume de Pluton (Hadès), un royaume souterrain, gardé par Charon et Cerbère et résidence des âmes après la mort. Il est composé de plusieurs régions telles que Les Champs Élysées, le Tartare etc, et séparé du monde des vivants par le fleuve Styx. Les défunts y sont envoyés après jugement en fonction de ce qu’ils méritent : le Tartare pour les damnés, les Champs Élysées pour les vertueux.

Olympe : ultra galère à gravir sans guide, l’Olympe est une vraie montagne située dans le Nord de la Grèce. Étant la plus haute de cette région, elle a été déclarée « demeure des Dieux » par Homère, et lieu de rassemblement autour de Jupiter (Zeus).

Les personnages

 

Actéon : Dans le mythe le plus connu, Actéon est un chasseur habile mais orgueilleux qui connaît une fin tragique : sur le mont Cithéron, il aperçoit la déesse Diane (Artémis) prenant son bain. Celle-ci, furieuse d’être surprise nue, le transforme en cerf et excite ses chiens contre lui jusqu’à ce qu’ils le dévorent. Dans la version d’Offenbach, la prude Diane n’est pas si prude, puisqu’elle est en vérité ravie des avances d’Actéon et c’est Jupiter (Zeus), pour préserver la réputation de sa fille, qui change le voyeur en cerf.

Admète : roi de Phères en Grèce actuelle. Il est connu surtout pour être le mari d’Alceste qui donna sa vie pour sauver celle de son mari. Il est aussi temporairement le maître d’Apollon, qui est condamné par Jupiter à jouer le rôle de berger sous les ordres d’Admète.

Alcmène : l’épouse d’Amphitryon, qu’elle trompe bien malgré elle. En effet, Jupiter l’abuse en se faisant passer pour Amphitryon. De cette union naît Hercule, mais Amphitryon, apprenant la tromperie, condamne sa femme au bûcher. Jupiter la sauve par un orage qui éteint les flammes.

Bacchante : le terme vient de Bacchus, le dieu du vin chez les Latins (Dionysos chez les Grecs). Les bacchantes sont les femmes qui lui vouent un culte, ses prêtresses. Elles sont reconnaissables par leur cri caractéristique « évoé ! ».

Bacchus : Dieu de l’ivresse et de la débauche, fils de Jupiter et de Sémélé. Il est gagnant à la fin.

Cerbère : Chien à trois têtes, il est le gardien des Enfers.

Cupidon : Fils de Mars et de Vénus dans la mythologie romaine. Il est le dieu de l’amour. Dans la pièce, il est fils de Jupiter.

Diane : Déesse de la chasse, fille de Jupiter, couramment appelée la « chaste Diane ».

Ephèbe : dans l’antiquité grecque, désigne un jeune garçon arrivé à la puberté. Un ado quoi.

Europe : un continent certes, mais également la mère de Minos et Rhadamanthe. Elle est surtout connue pour avoir été enlevée par Jupiter qui l’approche sous la forme d’un taureau blanc pour ne pas s’attirer les foudres de Junon (Héra).

Danaé : Fille du roi d’Argos, elle grandit enfermée dans une tour, non par une sorcière comme Raiponce, mais par son propre père qui a peur qu’elle tombe enceinte, car un oracle lui a prédit qu’il serait tué par son petit-fils. Cependant, Jupiter (encore lui !) s’introduit dans la tour sous la forme d’une pluie d’or. De son union avec Danaé naîtra Persée.

Grâces : Dans Orphée aux enfers, il s’agit de trois déesses qui accompagnent Vénus et qui personnifient le don de plaire. Par extension, les femmes ayant beaucoup de charme ou encore simplement les charmes de quelqu’un.

Junon : Femme et sœur de Jupiter, reine des dieux, elle est jalouse et son mari ne fait rien pour arranger son cas.

Jupin : diminutif de Jupiter (Zeus). Offenbach n’est pas le seul à utiliser ce diminutif mais dans Orphée aux enfers, il est chargé de beaucoup d’ironie. Le Littré donne comme étymologie Juppin signifiant polisson au XVIe siècle.

Jupiter : Roi des dieux, il règne sur les dieux et les mortels depuis les hauteurs du mont Olympe.

Léda : Pour continuer avec les conquêtes de Jupiter (toujours lui), Léda fut sensible aux charmes du dieu métamorphosé en cygne. À la suite de cette aventure, elle donna naissance à quatre enfants, sortis de deux œufs, dont la fameuse Hélène, autre héroïne chère à Offenbach, ainsi que Clytemnestre, Castor et Pollux. Il existe une autre version du mythe dont s’inspire Offenbach: refusant les avances du Dieu, celui-ci est obligé de recourir à une ruse : après s’être changé en cygne, il demande à Vénus de prendre la forme d’un aigle et de le poursuivre. Ainsi chassé, il peut se réfugier dans les bras de Léda et en profiter pour s’unir à elle.

Mars : Dieu de la guerre, Fils de Jupiter et Junon, père de Romulus et Remus.Mercure : Dieu du commerce, des voyageurs et des voleurs, il est le messager des dieux. Symbole de son zèle, il porte des sandales ailées.

Mercure : Dieu du commerce, des voyageurs et des voleurs, il est le messager des dieux. Symbole de son zèle, il porte des sandales ailées.

Minos, Eaque et Rhadamanthe : Anciens seigneurs réputés pour leur vertu. Minos est roi de Crète, c’est lui qui emmura le minotaure. Rhadamanthe est son frère. Eaque est le premier roi des Myrmidons et le grand-père du bouillant Achille. Tous trois sont, une fois morts, devenus juges des Enfers.

Muses : Neuf déesses, filles de Zeus, protectrices des arts. À chacune d’elle est associé un art : Clio (l’histoire), Euterpe (la musique), Thalie (la comédie), Melpomène (le chant et la tragédie), Terpsichore (la danse), Erato (la poésie lyrique et érotique), Polymnie (l’éloquence), Uranie (l’astronomie) et Calliope (la poésie épique). Dans un usage plus courant, la muse est une expression imagée pour désigner l’inspiration de l’artiste.

Nymphe : Divinités secondaires incarnant un élément de la nature : les forêts (dryades), les eaux (naïades), les mers (néréides) etc. Elles sont représentées sous la forme de jeunes filles gracieuses.

Pluton : Dieu des Enfers, frère de Jupiter, il est moins bien logé que ce dernier.

Styx : Ce n’est pas une personne, mais l’un des fleuves des Enfers. Il sépare le monde terrestre et le monde souterrain. Pour entrer aux Enfers, il faut le traverser sur la barque de Charon. Sa source se trouve dans le massif de Chelmós en Grèce.

Terpsichore : cf. une muse.

Thémis : déesse de la justice, de la loi et de l’équité, elle est la tante de Jupiter (Zeus). Elle appartient à la race des Titans, enfants d’Ouranos (le ciel) et de Gaïa (la terre).

Vénus : Déesse de l’amour et de la beauté, fille de Gaïa et Ouranos, mère de Cupidon.

Les références à la société du XIXe siècle (termes vieillis, quoi)

Cotillon : Soit une jupe soit, le plus souvent, une danse collective dansée à la fin des bals surtout au XIXe siècle.

Douairière : femme veuve possédant une douaire, c’est-à-dire un droit d’usufruit sur les biens de feu son mari (puisqu’à cette époque une femme ne possède rien en propre). Dans l’imaginaire collectif, une douairière est une vieille femme aristocrate et riche, comme dans Downton Abbey.

Hyménée : un mariage, mais dans la langue du XVIe essentiellement (et des poètes !)

Mantille : pièce d’habillement proche de l’écharpe pour couvrir la tête et les épaules.

Marmiton : nom qu’on donne à l’apprenti cuisinier ou aide cuisinier.

Pelisse : vêtement masculin ou féminin, long ou court, en fourrure (dedans, dessus, comme on veut).

Soubrette : nom que l’on donne aux servantes ou aux suivantes au théâtre.

 

Jurons

Sacrebleu : utilisé pour la première fois par Rabelais en 1552, la forme initiale était « Sacre Dieu ». Comme beaucoup d’insultes, le mot évolue avec l’emploi, et dès le siècle suivant, on trouve la forme « sacrebleu ». Notez que beaucoup de jurons sont créés sur le mot « dieu » qui devient « bleu » pour faciliter la prononciation en se débarrassant du son dental. Cela permet également d’atténuer la gravité du juron puisque jurer le nom de Dieu était perçu comme du blasphème. « Sacrebleu » est utilisé pour marquer l’impatience ou l’étonnement ou encore pour appuyer son propos.

Saperlotte : forme atténuée de « sapristi », probablement de la même étymologie que sacrebleu.

Corbleu : étymologie plus difficile à retracer, (cœur Dieu ou corps Dieu ?) ce juron marque une nuance d’indignation et beaucoup de colère.

Ventrebleu : marqueur de surprise, d’étonnement ou d’indignation, synonyme des interjections qui suivent.

Maugrebleu : forme euphémisée de « malgré Dieu », signifiant l’exaspération et la colère.

Morbleu / mordieu / mordienne : forme euphémisée de « Mort de Dieu ». La forme varie selon les régions (mordious est le plus connu et appartient aux Gascons).

Parbleu : « pardi ! bien sûr ! »signification souvent ironique. Forme euphémisée de « par Dieu ».

Palsambleu / palsanguienne : au théâtre, typique du registre paysan. Forme euphémisée de l’expression « par le sang de Dieu ».

Références aux arts

Deus ex machina : Du latin, qui signifie « Dieu sorti de la machine » et désigne au théâtre les procédés scéniques qui permettent de faire intervenir un dieu dans la pièce (trappe, grue etc.). On utilise cette expression pour parler des scènes où l’intervention d’un dieu permet de résoudre un conflit ou de conclure la pièce, et par extension pour tout élément inattendu ou extraordinaire (voire tiré par les cheveux) qui permet de conclure brusquement l’intrigue.

L’Opinion Publique : Dans Orphée aux enfers, ce personnage incarne l’ensemble des valeurs et croyances partagées par une société, à savoir ici celle du public. Sa présentation au début de la pièce évoque le chœur dans le théâtre antique. Elle déclare en effet, « j’ai perfectionné le chœur » en référence à celui-ci, dont le rôle était d’expliciter les événements de la pièce pour faciliter la compréhension du public. Ce rôle est à la fois amplifié et moqué dans l’opérette, car l’Opinion publique devient un personnage à part entière capable d’agir sur scène. Mais à cause de cette capacité, l’Opinion Publique perd son statut omniscient et est potentiellement soumise aux péripéties du drame.

Patelin: Qui est d’une douceur hypocrite. L’adjectif vient de La farce de Maître Pathelin, pièce anonyme datant du XVe siècle. Elle met en scène un personnage trompeur entreprenant une suite de ruses et de fraudes où le trompeur finit par être trompé à son tour. Dans Orphée aux Enfers, l’utilisation de cet adjectif apparaît dans le « rondeau des métamorphoses », où une partie des tromperies de Jupiter est dévoilée. L’adjectif est employé en parallèle du mot « farce », ce qui évoque la pièce. Ainsi, Jupiter, le trompeur, va sans doute finir berné.

Pizzicato : de l’italien, « pincé », technique pour jouer d’un instrument à cordes, en pinçant la corde avec les doigts plutôt qu’en la frottant avec l’archet.

Vielleuse : joueuse de vielle, instrument à cordes, ancêtre de la viole.

 

Références à la religion

Anathème : sentence de malédiction à l’encontre d’une personne jugée hérétique. Par extension, une condamnation, un blâme. « ‘Ne pas se faire montrer au doigt’, voilà encore une loi terrible. Être montré au doigt, c’est le diminutif de l’anathème ». Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer.

Ursulines : sœurs d’un ordre religieux catholique fondé en 1535 en Italie, se réclamant du patronage de Sainte Ursule et se consacrant à l’éducation des filles. Établies en France en 1608.

 

Autre

Bouillet : Marie-Nicolas de son prénom, auteur du dictionnaire universel d’histoire et de géographie, paru en 1842, et immensément populaire à sa sortie.

Cloaque : une sorte d’égout,  un endroit malsain aux eaux stagnantes où croupissent des ordures.

Chevalet : Sur un violon, un alto, un violoncelle ou encore une contrebasse, le chevalet est la pièce en bois sur laquelle sont tendues les cordes au milieu de l’instrument. Jouer avec l’archet près du chevalet — sul ponticello en italien — permet d’obtenir un son grinçant.

Commissionnaire : un intermédiaire entre deux commerçants (moyennant argent, la commission).

Étoupe : résidu de fibres, en particulier du chanvre, inflammable.

Evoé : Cri d’acclamation à Bacchus. Vient du grec et à la même racine que « ovation ».

Flagorner : flatter bassement, peu subtilement.

Greffier : dans le contexte juridique français, un greffier est un officier de justice chargé de dresser le procès-verbal de l’audience et d’authentifier les actes de justice (entre autres missions).

Limier : personne ayant beaucoup de flair, chien (pour le gibier) ou policier (pour les suspects).

Nectar et ambroisie : Boisson et nourriture des dieux. Les mortels ne sont pas dignes d’y goûter.

Rixe : querelle violente avec coups et injures.

Pampre : rameau de vigne.

Rapt : enlèvement, tout simplement, que cela soit par séduction ou par violence.

Sémillant : vif, enjoué, fringant, pétillant.

Trémolo : Aux cordes, le trémolo est une sorte de tremblement obtenu par des va-et-vient rapides de l’archet sur la corde.

 

https://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1843_num_4_1_451735

https://www.cnrtl.fr/definition/

https://www.littre.org/definition/jupin

Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Normandie, PUF, 2014

La musique de Madame Favart

“Le titre de mon opéra-comique suffit à en déterminer les véritables proportions. Justine Favart, en effet, c’était l’incarnation de la chanson française. Un tel sujet ne pouvait qu’inspirer une comédie à ariettes, agrandie, développée.1

Avec Madame Favart (1878), Jacques Offenbach désire restaurer le genre de l’opéra-comique, qu’il a lui-même beaucoup pratiqué à son arrivée à Paris, en tant que violoncelliste dans la fosse de l’Opéra-Comique. Pour joindre le fond à la forme, il s’empare de l’histoire des Favart, pionniers du genre dans le Paris du XVIIIe siècle, et propose avec ses librettistes une comédie mêlée d’ariettes2 et de vaudevilles3.

La restauration du genre de l’opéra-comique

Si les personnages de Madame Favart sont moins bouffons que ceux d’autres de ses pièces, Offenbach écrit une musique fidèle à son esprit vif et délicat. La multiplication des couplets et des chansons rappelle les origines de l’opéra-comique, qui puise ses racines dans le théâtre de foire parisien. Au XVIIIe siècle, la véritable Justine Favart se produisait aux Foires Saint-Germain et Saint-Laurent.

Tout comme le goût italien du XVIIIe a agrémenté l’opéra-comique d’ariettes raffinées, de nombreux numéros de la partition sont composés de plusieurs volets contrastants : couplets, chœurs, ensembles – qui font souvent avancer l’action. Ceux-ci sont articulés par de jolis récitatifs4. Cette technique de numéro complexe, autrefois réservée aux finals d’acte, est employée dans près de la moitié des passages musicaux.

Par rapport à ses précédentes compositions, les parties musicales sont significativement plus courtes, avec des changements de tempo très fréquents. Le compositeur, amoureux du théâtre, est toujours prêt à bondir férocement sur la moindre mollesse d’écriture.

Une inventivité musicale au service de la comédie

Selon le rythme qu’il veut donner à l’action, le compositeur emploie tour à tour couplets, ensembles, mélodrames, récitatifs, chœurs et chansons. La première intervention de Madame Favart, composée de plusieurs volets, en constitue un bel exemple. Après un tonique chœur introductif, l’orchestre imite le son de la vielle à roue. Le bourdon est confié aux violoncelles, aux cors et au basson, alors que la main gauche de la vielle est jouée par le hautbois. Le malicieux Offenbach fait tenir à ce dernier une note étrangère à l’harmonie, ce qui est commun dans ce folklore. La texture instrumentale ainsi créée sert de fond sonore pour le mélodrame annonçant l’arrivée de Madame Favart. La jeune comédienne entre en scène déguisée en vielleuse, et chante des chansons à une assemblée de voyageurs, comme un théâtre dans le théâtre. On peut entendre une courte parodie archaïsante d’opéra seria, puis deux chansons populaires : “Fanchon” (“elle aime à rire, elle aime à boire”) et la gigue “dans les gardes françaises”5. Pour finir, elle reprend sa mélodie de vielleuse, alors que les chœurs continuent de chanter la gigue. Cette juxtaposition offre un savant mélange de rythmes binaires et ternaires, tout en caractérisant le personnage : voilà une actrice capable d’entraîner les voyageurs dans ses chansons.

“Après la guerre, le militaire aime à s’offrir quelque plaisir”

Que serait une pièce d’Offenbach sans ses entraînants rythmes militaires ? Comme Molière avant lui avait tourné les médecins en dérision, Offenbach s’est employé à ridiculiser l’inattaquable armée. Après la défaite de Sedan, ces plaisanteries ne sont toutefois plus au goût du jour. À titre d’exemple, les représentations de son opéra bouffe La Grande-duchesse de Gérolstein (1867) reprennent timidement après 8 ans d’interdiction. Dans Madame Favart, Offenbach joue finement en conservant les rythmes électrisants qui ont fait son succès, avec des paroles moins moqueuses pour la “grande muette”.

Du point de vue de l’orchestration, on peut souligner le véritable culte que le compositeur voue au fifre6. Les notes pétillantes du piccolo traversent toute la partition, parfois à la mélodie mais aussi en égrenant de profuses guirlandes de notes. La musique du camp est aussi caractérisée par les incontournables tambours et trompettes.

“Des serments pleins de tendresse…”

Offenbach, qui se sait très “accessible du côté du cœur7, écrit des pages pleines de tendresse, empreintes de grâce et d’insouciance. Il privilégie pour cela le rythme de la valse, qui évoque les battements du cœur. Aux couplets de Suzanne (n°2) répondent les Romances d’Hector (n°9) et de Favart (n°17), trois valses.

Extrait des couplets de Suzanne (n°2). Les battements de cœur sont confiés aux violons, altos, hautbois et clarinettes.

 

Les folklores de Madame Favart

Jean-Honoré Fragonard, La joueuse de vielle, huile sur toile. Non datée, probablement peinte dans les années 1770

Offenbach profite d’avoir un personnage adepte du déguisement pour sacrifier à son goût du folklore. L’évocation de Fanchon la vielleuse, qui prête ses traits à Justine Favart dans le premier acte, permet de faire entendre de la musique pour vielle à roue. Le compositeur tisse aussi sa partition de danses et de chants traditionnels : les polkas sont nombreuses, ainsi que les gigues, qui apparaissent ici souvent teintées du rythme de sicilienne. Le goût du déguisement est à son comble avec la tyrolienne du 3e acte. Plus vraie que nature, elle est construite sur un rythme de ländler8 et comporte ces grands intervalles resserrés si caractéristiques du Tyrol.

Extrait de la tyrolienne (n°18). Madame Favart et Hector chantent tous les deux un saut d’octave en triples croches.

Le chœur mis à l’honneur

Présent dans plus de la moitié des numéros, le chœur est le plus souvent utilisé allegro. Ses parties, très rythmées, donnent du nerf à la partition et participent à l’effervescence chère à Offenbach, surtout dans les finals survoltés.

Le chœur donne à plusieurs reprises un éclat initial aux ariettes, ou bien se fait commentateur de l’action, à l’instar des chœurs antiques. Incarnant successivement voyageurs, invités et servantes, officiers et soldats, marmitons, tapissiers, petits fifres et trompettes, garçons d’auberge et cantinières, mais aussi des personnages de La Chercheuse d’esprit9, les choristes changent souvent de rôles, et de costumes !

Notes

1 Jacques Offenbach, “Lettre au directeur du Grand-Théâtre de Marseille”, parue dans Le Figaro du 29 janvier 1879.

2 Interludes musicaux de style vif et léger qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, alternaient avec le texte d’une comédie.

3 Chansons comprenant couplets et refrains rimés sur des airs populaires, qui servaient de prétexte à la satire d’individus ou d’événements du jour.

4 Le récitatif est une technique de composition vocale qui suit les inflexions naturelles de la phrase parlée. Il est employé pour favoriser la relation d’un événement, faire avancer l’action et assurer la liaison entre les différents volets d’un numéro.

5 Ces deux chansons ont été composées au XVIIIe siècle par des abbés et ont vite été intégrées au répertoire militaire.

6 Il lui a même consacré une opérette en 1868, Le fifre enchanté.

7 Offenbach à Ludovic Halévy, lettre du 24 juillet 1869.

8 Le ländler est une danse folklorique à trois temps, d’un tempo généralement rapide lorsqu’elle est pratiquée en Suisse et au Tyrol. Avant l’essor de la valse au XIXe, c’était la danse la plus commune en Autriche, au sud de l’Allemagne et en Suisse alémanique.

9 La Chercheuse d’esprit est un opéra-comique en un acte de Charles-Simon Favart.

Rédaction de l'article